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agitations de cléricalisme. Assurément l’empire, malgré les progrès qu’on lui laisse faire en lui demandant son concours, n’est pas près de rentrer à Paris par la porte triomphale de l’Étoile. Il a toujours contre lui le souvenir des ruines qu’il a laissées, des désastres nationaux dont il a été le premier et unique auteur, et ce ne sont pas des adversaires qui peuvent être appelés en témoignage de ses fautes ; les révélations les plus décisives, les plus accusatrices viennent de ceux qui l’ont servi avec fidélité jusqu’au bout. Que de fois n’a-t-on pas dit qu’en 1866, à ce moment de Sadowa, où a été préparée réellement la catastrophe de la France, si on n’avait rien fait, si on avait laissé tout faire, c’est qu’on n’était pas prêt, c’est qu’on ne pouvait pas même réunir un corps d’observation sur le Rhin ? On l’a dit, on l’a répété, et pour atténuer la responsabilité du souverain, on s’est plu à tout rejeter sur le ministre de la guerre du temps. On a laissé même circuler les insinuations les plus violentes, les plus injurieuses contre le vieux soldat qui avait la direction des affaires militaires à cette triste époque. M. le maréchal Randon est mort pendant le sinistre hiver de 1870 ; mais il a laissé des Mémoires qu’on publie aujourd’hui et où il prouve que tout ce qu’on a dit n’est qu’une fable. Le ministre de la guerre, loin de se croire et de s’avouer impuissant, avait soumis au contraire à l’empereur un plan de mobilisation de l’armée ; il se croyait en état de réunir en un mois plus de 400,000 soldats, et il offrait de mettre immédiatement en marche 80,000 hommes. Le plan de mobilisation était sous les yeux de l’empereur, le décret de convocation des chambres pour le vote des subsides avait été préparé et devait paraître le lendemain 6 juillet. Que se passait-il dans la nuit du 5 au 6 ? toujours est-il que du soir au matin les résolutions avaient changé, malgré les efforts du ministre de la guerre et de M. Drouyn de Lhuys ; on ne faisait plus rien. Le maréchal Randon en éprouvait un vif sentiment d’amertume qu’il ne cachait pas, et depuis M. de Bismarck s’est cru obligé d’avouer que, si à ce moment la France avait fait un mouvement sur l’Allemagne du Sud, les Prussiens auraient été forcés de revenir aussitôt couvrir Berlin et de renoncer à leurs succès en Autriche. Qu’en résulte-t-il ? C’est qu’évidemment la responsabilité des désastres qui ont accablé la France ne pèse à aucun degré sur le serviteur fidèle qui offrait ce jour-là les forces dont on avait besoin ; elle retombe tout entière sur le souverain, sur l’empire, sur le régime à l’ombre duquel a été préparé la ruine. Franchement, croit-on effacer si vite de la mémoire du pays un passé si récent et si cruel ? Croit-on qu’il soit prudent à des hommes publics de fonder leurs combinaisons sur une alliance avec les partisans les plus obstinés d’un régime qui a attiré de tels malheurs sur la France ? Ne vaudrait-il pas mieux dès ce moment, sans plus de retard, s’occuper de replacer la politique française dans des conditions