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la nature, et leur progression hiérarchique, depuis ceux qui ont le plus de simplicité, de constance et d’universalité, et qui, d’après tous ces caractères, servent de support et de charpente à tous les autres, jusqu’à ceux qui offrent le plus de complexité et de perfection organique, et qui par cela même doivent tenir à des combinaisons plus singulières et moins stables. D’un autre côté, il n’y a pas dans le monde physique un ordre de phénomènes que nous n’expliquions avec nos idées, et qui par conséquent ne provoque un examen critique de la valeur de quelques-unes des idées fondamentales auxquelles nos théories se rattachent. »

Cette façon de voir n’est pas sans analogie avec celle de Kant. Pour Kant, en effet, la philosophie n’est ni une construction a priori ni une construction a posteriori du monde, ni une métaphysique, ni une cosmologie expérimentale ; sa fonction est d’analyser la connaissance, de discerner dans l’acte de la pensée les conditions organiques de toute pensée, et d’en déterminer la valeur et la portée. Mais, si en ce sens M. Cournot relève de Kant, il en est indépendant sur la question capitale des principes et des procédés de la critique. Kant a surtout en vue de démêler dans la connaissance totale, simple ou complexe, l’apport du sujet pensant, et pour cela, partant de ce principe que tout élément d’expérience est particulier et contingent, il inscrit à l’actif de l’esprit tout ce qui dans la connaissance est universel et nécessaire. Ainsi les conditions dont la représentation et la pensée ne peuvent s’affranchir, espace temps, quantité, qualité, relation, modalité, sont pour lui des formes a priori de la sensibilité et des catégories de l’entendement Son analyse est essentiellement subjective, et le fil conducteur en est emprunté à la logique formelle. L’analyse de M. Cournot est au contraire objective. Il estime que c’est, non dans une étude abstraite de l’esprit humain, mais dans l’observation des sciences elles-mêmes, prises avec tous leurs développement, qu’on doit chercher a posteriori « les idées ou conceptions primitives auxquelles nous recourons constamment pour l’intelligence et l’explication des phénomènes naturels. » Peut-être certaines de ces idées sont-elles inhérentes à notre constitution intellectuelle ; mais elles ne se manifestent qu’une fois en action et appliquées aux phénomènes. C’est là et non dans l’esprit qu’il faut espérer de les découvrir.

Cette différence entre le kantisme pur et ce qu’on pourrait appeler le kantisme expérimental de M. Cournot entraîne d’autres différences plus importantes encore. Kant distingue en tout objet et de connaissance deux élémens inséparables en fait, mais radicalement distincts : une matière et une forme ; par exemple dans la représentation d’une étendue colorée, à la sensation affective de