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et je sais d’autre part que dix points de position donnée peuvent être reliés par un nombre infini de relations mathématiques. Je répète l’expérience de Mariotte pour des pressions variant de une à dix atmosphères ; je constate que les volumes correspondans du gaz sont en raison inverse des pressions supportées. Hésiterai-je à étendre ce rapport à toutes les pressions intermédiaires, inférieures et supérieures ? Pourtant, en le faisant, je dépasse en tous sens les limites de l’observation, et je sais que mille autres relations mathématiques seraient possibles entre les valeurs données. On dira sans doute que, si ces valeurs sont prises arbitrairement, si elles sont en quelque sorte des points quelconques et non pas des points singuliers, le rapport découvert entre elles est par là même démontré. Cependant cette démonstration n’est pas de celles qui entraînent l’adhésion pleinement assurée que produit la preuve mathématique. En effet, le nombre des relations possibles entre un nombre fini de points discontinus est infini, et ni l’observation, ni le calcul ne peuvent nous garantir que l’ordre saisi ou supposé entre eux est réel et durable, et non pas apparent et passager. Aussi, pour incliner notre pensée à croire, sans cette garantie, à la réalité de ses conceptions, un autre élément de croyance doit-il intervenir.

Quel est cet élément ? — Les conceptions que nous tenons pour vraies ont entre toutes celles que nous concevons comme possibles un caractère singulier : la simplicité. Pour contester l’induction qui les porte, il faudrait admettre que le hasard, entre un nombre infini de relations diverses, toutes plus compliquées les unes que les autres, nous a fait tomber, pour nous duper, sur la plus simple et la moins réelle de toutes. Par exemple, dans le cas de la loi de Mariotte, « il faudrait admettre d’un côté que la loi qui lie les volumes aux pressions prend pour certaines valeurs une forme très simple, et se complique, sans raison apparente, pour les valeurs intermédiaires ; il faudrait en outre supposer que le hasard nous fait tomber plusieurs fois de suite, parmi un nombre infini de valeurs, précisément sur celles pour lesquelles la loi en question prend une forme constante et simple. » Or n’est-ce pas là la plus improbable des suppositions, si improbable que la chance d’erreur, devenant infiniment petite, s’évanouit ?

Voilà donc des jugemens réels qui n’ont pour eux ni l’autorité du fait, ni celle de la démonstration logique, et que cependant nous recevons pour vrais. Il y a par conséquent en dehors des certitudes positives et mathématiques une espèce de certitude qui, sans être absolue, s’impose cependant à tout esprit libre de sophismes ; mais peut-on l’appeler certitude, au sens où les philosophies dogmatiques prennent ce mot ? En aucune manière ; elle ne vient ni d’une