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appeler idées fondamentales des sciences. En effet, que seraient les mathématiques sans les notions du nombre et de l’espace, les sciences physiques sans celles de la causalité et de la réciprocité d’action ? Mais, par cela même qu’elles sont la charpente de tout notre savoir, il faut leur reconnaître une certitude solide et inébranlable sans laquelle rien autre ne serait même probable, et les distinguer avec soin des hypothèses positives et des conceptions théoriques introduites dans les sciences pour relier en systèmes les divers phénomènes.

Ces notions maîtresses en effet, assises fixes de la connaissance, indispensables à l’intelligence du monde, ne contiennent pas en elles-mêmes les raisons prochaines des faits. Seuls, l’espace et le nombre se prêtent à des développemens déductifs illimités, pour lesquels rien de l’expérience n’est nécessaire. Aussi en attribuant aux seules mathématiques une certitude complète, M. Cournot témoigne-t-il contre son système en faveur de la thèse que nous soutenons. D’où leur viendrait en effet cette certitude absolue, sinon des principes mêmes, de la déduction, c’est-à-dire des définitions des nombres et des formes de l’étendue ? Et alors pourquoi refuser aux autres lois universelles de la pensée, égales en autorité aux lois purement mathématiques, une certitude reconnue en celles-ci ? — Mais, quand il s’agit d’expliquer les choses sensibles, d’en ramener les manifestations à des types généraux et persistans de coexistence et de succession, l’expérience doit intervenir, et avec elle l’hypothèse. Nous sommes assurés que les phénomènes n’apparaissent pas sans raison, et qu’aucun changement dans le monde n’augmente ni ne diminue la quantité de ce qui existe ; mais de ces principes, nous ne pouvons déduire a priori l’explication d’aucun phénomène. Il faut donc introduire entre les faits bruts et les principes, sous peine de demeurer dans un empirisme aveugle ou de s’enfermer dans un idéalisme infécond, des conceptions générales qui relient en systèmes harmonieux les faits en apparence les plus dissonans : telles sont, pour citer seulement quelques exemples, la théorie des ondulations lumineuses, la gravitation universelle, l’équivalence mécanique de la chaleur, l’hypothèse de l’éther. Ce sont là aussi des idées fondamentales des sciences, mais en sous-ordre, pour ainsi dire. D’elles, il est vrai de dire avec M. Cournot que nous ne pouvons avoir ni démonstration proprement dite, ni preuve positive. Imaginées pour rendre raison de l’ordre et de la suite des faits, elles ne sont jamais vérifiées qu’approximativement, même pour les cas où il serait insensé de les rejeter. Ce sont essentiellement des hypothèses dont la force s’affaiblit ou s’accroît avec le progrès de l’observation et la précision de nos mesures ; mais jamais elles n’atteignent à la certitude mathématique. Il y a donc au-dessous des