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dans l’hyperbole bien connue que l’herbe ne pousse plus là où il a mis le pied. Il serait juste toutefois de ne pas oublier la très grande part qui revient aux Occidentaux eux-mêmes dans les progrès de cette consomption chronique. Tout compte fait, on peut se demander si ce que le Turc a encore de bon, il ne le doit pas précisément à l’islamisme. Race conquérante, il aurait pu, comme d’autres hordes de sa famille, ne laisser que des ruines ou ne fonder qu’un empire éphémère. Le fait est qu’il a maintenu sa suzeraineté sur des peuples nombreux et divers, qu’il a plus d’une fois trompé les prévisions de ceux qui s’attendaient à la prompte mort de « l’homme malade, » et que, s’il faut en croire bien des autorités de l’ordre politique, le maintien de son empire est encore une condition absolue de la paix du monde.

La conclusion dernière de l’auteur anglais est donc que l’islamisme ne mérite ni les anathèmes ni les dédains de l’histoire impartiale. Il tient sa place, et une place fort distinguée, parmi les religions supérieures. Il a droit, non-seulement à notre tolérance, mais même à notre sympathie en tant qu’agent, et seul agent efficace, du progrès humain sur une grande partie de notre planète. Étudié dans ses origines, il échappe à la plupart des reproches traditionnels dont il est l’objet ; suivi dans son développement historique, il présente des pages tantôt fort belles, tantôt très laides, absolument comme d’autres religions qui se prétendent plus parfaites ; en un mot, à côté de la synagogue, du temple et de la cathédrale, la mosquée a le droit de dresser fièrement ses minarets et de réclamer sa place au soleil.


IV

Assurément, tant qu’il ne s’agira que de revendiquer pour l’islamisme la liberté de s’affirmer et le droit de participer à la tolérance religieuse universelle, nous ne contesterons pas les conclusions de M. Bosworth Smith. Nous reconnaîtrons même volontiers qu’il a eu raison de plaider la cause de l’islamisme contre les préjugés enracinés par l’étroitesse et la passion théologique. En Algérie, malgré quelques faits de détail qu’il était difficile de prévenir entièrement, la domination française a toujours respecté les croyances de la population vaincue et n’a jamais permis de propagande violente. S’il est vrai, comme tout semble le démontrer, que l’islamisme réussisse mieux que toute autre religion à extirper les abominables coutumes qui souillent le sol de l’Afrique, tant mieux pour lui et pour l’humanité. Il serait absurde de s’en formaliser, souverainement injuste de lui en faire un grief. Cependant, avant de partager absolument la très haute idée que M. Bosworth Smith se fait du mahométisme,