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réforme qui relève de préférence, parmi les dogmes essentiels de la religion qu’elle professe, l’obligation de faire la guerre aux infidèles pour que la vérité triomphe ? N’est-ce pas retomber dans le pire des erremens et peut-on sérieusement espérer que des gens qui font du fanatisme une loi supérieure et permanente pourront servir de promoteurs à une transformation féconde et durable ?

Nous ne savons si, dans l’avenir, la constitution religieuse des peuples influera aussi fortement que par le passé sur leur développement social. Quelques-uns penseraient plutôt que dorénavant, chez les plus avancés, la politique et les institutions sociales détermineront les tendances religieuses plutôt qu’elles ne seront commandées par celles-ci ; mais quoi que nous devions présumer de l’avenir, il est évident que dans le passé c’est bien la religion d’un peuple qui a le plus fortement agi sur le genre de civilisation qu’il a réalisé. Et cette action religieuse a bien moins eu pour ressort actif les dogmes et les rites que l’esprit, la manière de concevoir et de sentir les choses. Le christianisme a revêtu bien des formes, parlé bien des langages. Sa grande supériorité philosophique et sociale consiste dans la hauteur inaccessible où il a placé son idéal tout en excitant le chrétien à y tendre sans cesse. C’est par là qu’il a toujours inspiré, tout au moins à l’élite, le regard en avant, le mécontentement du présent, une recherche inquiète du meilleur, c’est ce qui a fait de lui une religion de progrès et de rénovation constante. Voilà comment il se fait qu’il a pu souvent se montrer dans la réalité inférieur à l’islamisme, et pourtant, avec les siècles, élever les peuples obéissant à son impulsion à une hauteur que l’islamisme n’a pas atteinte et n’atteindra jamais. Nous touchons, je crois, ici le tuf même de la question. L’islamisme est hermétiquement fermé à l’idée comme au goût du progrès. M. Bosworth Smith remarque très judicieusement qu’en lui-même il est une religion de la crainte, non de l’amour de Dieu. Or, pour tous ceux qui savent établir une certaine concordance entre les sentimens religieux et les tendances sociales, cela dit tout. L’amour de Dieu, — ce qui manque précisément aussi au bouddhisme, — est ce qu’il y a de plus essentiel au christianisme ; mais il n’est qu’un mot vide ou une exaltation stérile, s’il ne s’identifie pas avec l’amour de cette perfection rayonnante qui est la face aimable de la Divinité. Cela posé, comment l’amour de la perfection n’engendrerait-il pas le désir ardent du perfectionnement ? Aussi voyons-nous, quand nous comparons l’Évangile à l’islam, que le premier cherche aussi fortement à s’annoncer comme une nouveauté, un accomplissement, une « bonne nouvelle, » que le second prend à tâche d’affirmer qu’il n’est autre chose qu’un retour au passé. L’idéal du premier est en avant comme