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les outrages des fanatiques, Quinet le rêveur, le poète, le chercheur sincère et enthousiaste, que cette correspondance fait revivre sous nos yeux. S’il fallait la résumer en quelques mots, je dirais qu’on y assiste à l’épanouissement du génie poétique dans une belle âme.


I

Un bambin de douze ans, qui a grandi jusque-là comme un petit paysan du temps de l’empire au milieu des images de la vie rustique et du mouvement de la vie militaire, livré à lui-même et au hasard, élevé en gars de la ferme et en enfant de troupe, simple, droit, candide, ouvert aux mille impressions des choses, tout cela sous la direction d’une mère à la fois attentive et confiante, est enfermé au collège de sa ville natale, à Bourg-en-Bresse, dans le cours de la sombre année 1815. Est-il besoin de dire que pour lui, comme pour tous les enfans du peuple à cette date, le héros par excellence était le glorieux vaincu de Waterloo ? Son père, bien qu’il fût commissaire des guerres aux armées, avait toujours éprouvé une haine profonde pour la personne de Napoléon ; sa mère, esprit libéral, n’avait jamais cessé de détester l’empire. Tous deux cependant n’avaient point cherché à combattre autrement que par le silence le prosélytisme de la gloire dans l’imagination de l’enfant. Jamais on ne parlait de l’empereur au foyer de famille. Qui sait si ce silence, même opposé au bruit du dehors n’a pas contribué à imprimer plus profondément la grande image au fond d’une âme poétique ? Le jour où le petit rêveur sauvage des grands bois de Certines et du désert des Dombes se vit emprisonné au collège de Bourg, il lui sembla qu’il était associé par le destin à l’homme de Sainte-Hélène. « Certes, dit-il, si je plaignais mon héros de la captivité qu’il allait endurer désormais au milieu de l’Océan, je ne trouvais pas la mienne moins intolérable. Je me voyais prisonnier comme lui, en même temps que lui, mais je ne pouvais comme lui maîtriser mon désespoir… Un jeune oiseau de proie enlevé nouvellement aux forêts et porté à la ville dans une cage d’osier ne tombe pas dans un désespoir plus morne. »

Le jeune oiseau de proie passa trois années dans cette cage. Nous n’avons rien à dire de cette période, qu’Edgar Quinet a racontée lui-même avec beaucoup de grâce dans l’ouvrage intitulé Histoire de mes idées. Suivons-le au collège de Lyon, où il entre le 8 novembre 1817 ; c’est à cette date que s’ouvre la correspondance familière dont l’étude nous attire.

Ce sont encore trois années de réclusion, de discipline, de travail, mais d’un travail austère et dirigé vers un but. Le vagabond des