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titre : Description historique et littéraire des monumens et des environs de Paris. Il lui fournira les notes, les recherches, tout le détail du métier ; à Quinet seulement le soin de la forme, l’art de la mise en œuvre. Edgar Quinet hésite ; il serait si heureux de prouver à sa mère, à son père surtout, le censeur morose, qu’il est en mesure de se tirer d’affaire tout seul ! Et puis le libraire Guillaume, qui sert d’intermédiaire à Dulaure, insiste d’une façon si obligeante ! il a réponse à toutes les objections. « vous avez de plus hautes visées, jeune homme ? vous n’y renoncerez point en vous faisant connaître. Est-ce que Walter Scott n’a pas commencé sa réputation par une Histoire des monumens de l’Angleterre ? » Si tenté qu’il fût, l’auteur des Tablettes du Juif-Errant finit par refuser. Un certain sentiment de l’art, trop absent de cette naïve ébauche, naissait en lui de l’épreuve même qu’il venait de subir. « Je me console, écrit-il, de cette occasion manquée en pensant qu’assujetti à une spéculation de librairie, je ferais vite et mal. »

Il voulait faire bien et ne pas se hâter. Pendant les trois années suivantes, sa vie est une préparation laborieuse. Tout en continuant son droit, il étudie l’histoire, la philosophie, les sciences, il se pose de grands problèmes de morale. La conscience de l’homme, la personnalité morale de l’homme n’a-t-elle pas une histoire ? Et il se met à écrire l’histoire de l’individu à travers les temps. Les institutions politiques des peuples n’ont-elles pas des rapports nécessaires avec les croyances religieuses ? Et méditant ce grand sujet il se trouve emporté à mille lieues des idées voltairiennes. Voilà le penseur qui se dégage et le poète qui apparaît. Ce qui l’attire surtout, c’est l’histoire, la philosophie de l’histoire, la métaphysique, non pas abstraite, mais réelle et substantielle, la métaphysique dont il voudrait voir se dérouler les formules vivantes dans la longue argumentation des âges.

Pour de telles méditations, il n’y a de guide en France que l’ouvrage de Bossuet ; il a interrogé Bossuet, il le sait à fond, il a résumé, concentré la doctrine du Discours sur l’histoire universelle, il veut regarder au delà ; où est l’homme auquel il pourra dire : Tu ducai tu maestro ? L’ouvrage de Mme de Staël lui a révélé qu’il y a de ces philosophes parmi les écrivains de l’Allemagne, l’un surtout, celui qui a donné à son pays les Idées sur la philosophie de l’histoire de l’humanité, celui qui exerçait sur le génie de Goethe une sorte de fascination poétique. Malheureusement les Idées de Herder ne sont pas traduites en français, et Quinet ne sait point l’allemand. Que faire ? Apprendre l’allemand et traduire l’ouvrage de Herder. Il se met à l’œuvre, il s’y obstine, il s’y acharne, et l’année suivante, au printemps de 1825, voilà sa traduction assez avancée pour que l’excellent Bayard, le plus obligeant et le plus pratique