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produisent aucun effet et qui ne lui sont d’autres conséquences, sinon que peut-être il en tirera d’autant plus de vanité qu’elles seront plus éloignées du sens commun, à cause qu’il aura dû employer d’autant plus d’esprit et d’artifice à les rendre vraisemblables. »

Dès qu’on abandonne les spéculations théoriques pour toucher la réalité des choses dans une enquête personnelle de ce genre, on s’aperçoit bien vite que, pour acquérir de justes notions sur l’état d’une société ou même pour apprécier la situation spéciale d’une population ouvrière, il ne suffit pas dans cet organisme d’étudier l’atome, c’est-à-dire l’individu isolé du milieu auquel mille liens le rattachent ; il faut observer la cellule vivante, c’est-à-dire la famille, véritable unité sociale. Un peuple ne se compose pas en effet de citoyens naissant enfans trouvés pour mourir célibataires. Le souvenir des ancêtres et le dévoûment aux descendans, le soin de l’enfance et la protection de la vieillesse, l’attachement au foyer et les travaux de l’atelier domestique, tout concourt à faire de la famille un petit monde de sentimens et d’intérêts, à la fois l’image et le fondement de la patrie. C’est naturellement parmi les familles ouvrières, surtout parmi les familles rurales que l’observateur devra porter ses investigations et choisir le sujet de ses études ; là est à vrai dire le fond même de la population. Moins exposées que les classes supérieures aux fluctuations sociales, plus subordonnées dans leur vie matérielle et dans leur activité physique au climat et aux productions du sol, les classes ouvrières offrent par ces motifs les meilleurs caractères de la nationalité et la plus nette empreinte du génie local. En même temps que les traditions du passé, les vieilles mœurs, les usages surannés et les patois oubliés s’y conservent avec plus de persistance, les moindres changemens qu’apporte le progrès des temps ne manquent pas de s’y manifester par les modifications que subissent la tenure des terres, le régime des ateliers, les coutumes de la famille, les relations des classes ou les institutions de l’état. Mille traits délicats des rapports sociaux qui échapperaient à l’observateur même attentif viennent d’eux-mêmes se refléter devant lui dans les détails intimes de la vie des familles. Logement, nourriture, vêtement, redevances, impôts, assurances, culte, instruction, service de santé, récréations, revenus, salaires, droits d’usage ou droits à l’assistance, tout ce qui concerne les besoins moraux ou les intérêts économiques du ménage se traduit par une recette ou par une dépense soit en argent, soit en nature. Enfin l’épargne, indice de travail et de prévoyance, est le meilleur critérium qui puisse faire reconnaître si la famille est capable de s’élever par ses vertus dans la hiérarchie sociale. L’élément fondamental de la monographie d’une famille est donc l’établissement de son budget annuel. Là est le trait