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imprudente, a rouvert la boîte aux espérances ; le pays, qui a besoin tout à la fois de travailler et de se reposer, se flattait que cette boite resterait fermée quelque temps encore ; on l’a rouverte, le mal est irréparable, et la république française est de nouveau, en proie à l’anarchie des espérances monarchiques. On a rendu aux partis dès cette heure le droit d’espérer, et le ministère s’est engagé, à ne rien, faire qui pût contrarier leurs desseins, leurs chimères : et leurs complots ; c’est à cette condition seulement qu’il pouvait se procurer leur appui. Quand il aura vaincu par leur secours et que viendra le jour du partage et du règlement des. comptes, comment s’y prendra-t-il pour les satisfaire ? comment s’y prendra-t-il pour les tromper ? Aujourd’hui ils lui disent : Qui n’est pas contre moi est avec moi. Tôt ou tard ils lui diront : Qui n’est pas avec moi est contre moi. Refermera-t-il la boîte ? Il faudrait une main de fer pour cela. La laissera-t-il ouverte ? triste sort que celui d’un peuple qui n’est pas assuré du lendemain et qui tue son avenir à force de le discuter ! — « Nous craignons, que la France, disait l’autre jour un journal ministériel autrichien, la Presse de Vienne, ne soit détournée par des coups de force de sa voie pacifique à l’intérieur, qu’elle ne devienne une fois encore la proie des conflits dynastiques, de l’obscurantisme et de vaines ambitions, et qu’ainsi elle ne s’exclue par sa faute de la communauté des peuples modernes, qu’elle ne glisse irrésistiblement vers l’abîme des guerres civiles et de la dissolution intérieure, où périssent toutes les nations qui ne savent pas se gouverner elles-mêmes ; puisse le bon génie de la France la préserver d’un pareil sort ! »

La France reconnaîtra-t-elle son bon génie dans le ministère du 17 mai ? S’il parvenait à lui donner par sa victoire un gouvernement fort, qui eût des amis en Europe, il pourrait se vanter d’avoir résolu un problème bien difficile, et son succès ferait le plus grand honneur à l’habileté connue de l’homme distingué qui le préside. Ceux qui pensent que ce ministère est né dans de fâcheuses conjonctures, qu’une mauvaise étoile a lui sur son berceau et qu’il est condamné par la fatalité des circonstances à être toujours faible et toujours suspect, estiment que le plus grand service qu’il puisse rendre à la France est de ne pas réussir, et ils lui souhaitent patriotiquement la bonne fortune d’un insuccès.


G. VALBERT.