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réservées. Il y avait là sans doute de ces gens sans patrie et sans nom, achetés sur les marchés de la Grèce, dont les plus grands seigneurs recherchaient les bonnes grâces, qui dominaient l’empereur et souvent gouvernaient l’empire. Devenus importans et riches, ils se résignaient à vivre dans ces appartemens sans air et sans jour pour ne pas s’éloigner du maître, comme soûl Louis XIV les plus illustres personnages, qui possédaient de grands hôtels et de beaux châteaux, s’entassaient dans les appartemens infects de Versailles pour être toujours sous les yeux du roi. Mais, si ces esclaves ou ces affranchis se croyaient obligés de ne pas quitter ces appartemens obscurs, ils voulaient les embellir autant qu’ils le pouvaient, et les rendre dignes de leur fortune : c’est au moins la seule façon d’expliquer ce luxe de peintures et de marbre, et ces beaux ornemens prodigués sur des murailles où l’on pouvait à peine les apercevoir.

De l’autre côté du Palatin, près du grand Cirque, on a retrouvé une de ces anciennes maisons qui furent conservées après que la colline eut été envahie par les palais impériaux et que l’on consacra à loger les gens de service. Elle a contenu, peut-être à des époques différentes, des soldats et des esclaves. Les chambres qui entourent l’atrium sont pleines de ces inscriptions à la pointe ou au charbon que les Italiens appellent graffiti. Elles ont été gravées d’ordinaire par des soldats qui se donnent le nom de vétérans de l’empereur (veteranus domini nostri) ; quelques-unes contiennent des épigrammes piquantes où le vétéran se plaint du peu de profit qu’il a tiré de ses services[1]. Il y en a qui semblent prouver qu’à une certaine époque fut établie dans cette maison l’école des jeunes esclaves (pœdagogium), où l’on élevait avec soin les enfans qui étaient destinés à servir le prince, à l’approcher, à faire sa compagnie, à l’égayer par leur entretien. Plusieurs de ces enfans ont laissé sur les murs des inscriptions qui semblent prouver que l’école ne les amusait guère et qu’ils étaient heureux de la quitter. C’est là aussi qu’a été trouvée la fameuse caricature dont on a tant parlé et qui est placée aujourd’hui au musée Kircher. Elle représente un homme à tête d’âne étendu sur une croix ; au-dessous, un personnage, grossièrement dessiné, tient les yeux fixés sur le crucifié, en approchant sa main de sa bouche. La scène est expliquée par une inscription grecque où on lit ces mots : « Alexamène adore son Dieu. » Il s’agit évidemment d’une plaisanterie dirigée contre un chrétien : on croyait, à l’époque des Antonins, même dans la

  1. Sur le mur d’une de ces chambres, on a retrouvé un petit âne qui tourne la roue d’un moulin. Au-dessous est écrite la légende suivante : travaille, mon petit âne, comme j’ai travaillé moi-même, tu t’en trouveras bien. Labora, aselle, quomodo ego laboravi, et proderit tibi.