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de l’époque, nous prouvent à quel point ils choquaient les hommes d’ordre et les esprits sincèrement religieux. On peut se figurer de quel douloureux étonnement furent saisis les auditeurs de Retz, qui avaient eu la naïveté de croire à la sincérité de ses pratiques extérieures jusqu’en 1648, lorsque pour la première fois éclatèrent, comme un coup de foudre du haut de la chaire sacrée, ses prédications factieuses. Plus d’une fois, Mazarin s’émut de cette guerre inusitée depuis l’époque de la ligue, et, pour y répondre avec les mêmes armes, il fit attaquer les frondeurs en pleine chaire par Claude de Lingendes et par le père Faure, cordelier, qui, l’un et l’autre, étaient des prédicateurs fort en renom. Un jour, c’était au mois de mars 1649, pendant le siège de Paris, Lingendes, sous des noms et des images bibliques, ne craignit pas de tancer les Parisiens en pleine révolte ; il fit un portrait d’Absalon, dans lequel le duc de Beaufort, « ce Roi des Halles aux longs cheveux, » crut se reconnaître, ce qu’il ne pardonna pas à l’orateur[1]. Rien ne prouve toutefois que Lingendes ait fait la moindre allusion au coadjuteur.

Tel était l’indigne élève du vénérable Vincent de Paul. Comme on le voit, il avait peu profité de ses leçons. Si jamais, vers la fin de sa vie, il s’est converti au christianisme, comme on l’a prétendu un peu naïvement, il faut convenir que ce serait un étrange miracle.

Assurément un tel personnage ne pourrait inspirer qu’un sentiment d’effroi, mêlé de mépris et d’horreur, s’il était permis d’oublier un seul instant qu’il ne fut prêtre qu’à son corps défendant. En toute justice, il ne faut voir dans le cardinal de Retz qu’un gentilhomme victime des préjugés de son temps, du despotisme paternel, d’une aveugle ambition de famille. Ce prêtre malgré lui, qui eut de si grands défauts et de si grands vices, n’était pas si noir au fond qu’on se le pourrait imaginer. Bien que, dans le domaine politique, et pour satisfaire son ambition démesurée, il fût toujours prêt, ainsi qu’il le dit lui-même, à faire le bien ou le mal, il avait des vertus de cœur et des dons d’esprit si rares qu’il serait injuste de ne pas les faire entrer dans la balance. Ce qui peut sembler surprenant, c’est que les contemporains de Retz, amis et ennemis, n’aient eu qu’une seule voix pour reconnaître en lui de hautes qualités qui, à leurs yeux, dominent même ses plus grands vices. Écoutons-les, rien ne nous instruira mieux que leur témoignage : « Il avait beaucoup d’esprit et de savoir, dit Mme de Motteville, et, outre cela, un grand cœur et de la grandeur d’âme. » — « Ce cœur que rien ne peut vaincre, écrivait l’honnête et véridique Patru au cardinal, au moment où celui-ci revenait d’exil, cette bonté qu’on

  1. Les Prédicateurs du dix-septième siècle avant Bossuet, par M. Jacquinet.