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apportait avec elle les senteurs salines de la mer. Enfin Plencia m’apparut. Étais-je encore en Vizcaye, au nord de la Péninsule ibérique, ou quelque charme magique ne m’avait-il pas transporté soudain en plein pays d’Italie, aux bords du golfe de Naples ? Située sur une étroite langue de terre qui s’avance dans l’Océan, la ville littéralement baigne au milieu des flots. Précisément ce soir-là le soleil à son coucher colorait l’horizon de belles teintes rouges dont le reflet changeant prenait en écharpe les quais du port et les eaux tranquilles de la baie : sur ce fond lumineux, le vieux pont de pierre qui relie la ville à la rive gauche et franchit en neuf bonds l’embouchure de la rivière dessinait en noir ses arches inégales ; l’air avait cette clarté diffuse qu’on retrouve dans certaines marines de Claude Lorrain, et, pour aider à l’illusion, tout le long de la route à gauche, les vignes disposées en treilles et soutenues par des piliers de pierre, selon la mode italienne, mettaient des portiques de verdure au pied des collines qui descendaient en pente douce jusqu’au bord de l’eau.

En dépit de sa position, Plencia ne compte pas un seul pêcheur, sa rade même est sans mouvement ou, pour mieux dire, abandonnée. Cela tient aux bancs de sable qui se forment à l’embouchure de la rivière et qui, par le gros temps, rendent très périlleux le passage de la barre. Pourtant elle eut ses beaux jours, alors que son pavillon était connu sur toutes les mers, et qu’elle adoptait comme armes parlantes un navire voguant à pleines voiles ; encore en 1780 elle ne possédait pas moins de cent cinquante bâtimens de commerce qui trafiquaient avec les contrées les plus reculées du monde. De nos jours, elle soutient une école de marine d’où sortent d’excellens sujets ; elle est fort propre à l’intérieur, et ses maisons bourgeoises, la plupart accompagnées d’un jardin, lui donnent même un air assez coquet.

De Plencia à Bermeo, il n’existe aucune route que les sentiers tracés par les gens du pays. Les montagnes en cet endroit sont âpres et arides, couvertes d’une végétation rabougrie qu’interrompt ça et là l’ossature de la roche mise à nu par les pluies ; en revanche, dans chaque pli de terrain, à Lemoniz, à Baquio, partout où quelque petit cours d’eau, sorti des flancs de la chaîne, a pu se creuser un lit pour venir au bout de la plage rejoindre la mer et s’y perdre, un gentil village apparaît à demi caché dans un berceau de verdure. Saluez en passant, à la cime d’un pic aigu affouillé par les vagues, l’ermitage vénéré de San-Juan de Gastelugache, autrefois forteresse imprenable, gravissez bravement, c’est l’affaire de deux ou trois heures, la haute croupe du mont Machichaco, le plus pelé de tous, le plus ardu, maussade comme son nom ; arrêtez-vous alors ; devant le spectacle qui s’offre à vous, toute fatigue est bien vite