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toutes ses ressources, s’en remettant à l’avenir d’assurer son sort et celui des siens. Les mariages sont féconds comme chez tous les marins, et les familles très nombreuses ; dans ce métier, les enfans, bien plutôt qu’une charge, sont une ressource : les petites filles raccommodent les filets, les petits garçons préparent les appâts ; plus grands, ils s’embarqueront avec le père et l’aideront dans la manœuvre. Au demeurant, il n’est pas de population plus laborieuse, plus sincèrement honnête : le juge de la ville me déclarait lui-même n’avoir eu l’année précédente qu’un seul coupable à juger. Le type des habitans du littoral est fort beau : c’est celui de la race basque dans toute sa pureté, à la fois élégant et fier. De taille au-dessus de la moyenne, les hommes ont le corps svelte et nerveux, le visage ovale, le nez aquilin, le regard clair, les pommettes saillantes, dans tous les traits une sérénité et une énergie singulières qui s’accentuent encore avec l’âge ; mais les femmes surtout m’ont paru admirables. Avant que le travail et les fatigues de la maternité les aient trop cruellement éprouvées, elles représentent l’idéal de la beauté humaine : toutes grandes, elles aussi, les attaches pures, les hanches larges, la poitrine ferme et bien remplie ; avec cela les joues colorées, les lèvres souriantes, les yeux doux, un peu étonnés, de splendides cheveux châtains que les femmes mariées portent enroulés sur le derrière de la tête et que les jeunes filles laissent pendre en deux longues tresses sur leurs épaules. Au premier coup d’œil, on reconnaît là des êtres privilégiés, bien supérieurs aux autres races mélangées ou abâtardies de l’Europe occidentale. Quant à moi, je n’oublierai jamais l’impression que j’ai ressentie en voyant les jeunes filles de Bermeo rentrer vers minuit après la dure journée ; la jambe leste et le pas rapide, nullement gênées par l’ample corbeille qui pesait sur leur tête et où s’agitaient deux ou trois gros poissons de mer dans les derniers spasmes de l’agonie, elles marchaient une douzaine sur la même ligne, se tenant par la main et chantant en chœur à pleine gorge quelque refrain du pays ; les jeunes gens les suivaient par derrière, et longtemps encore après leur passage j’entendais au milieu du silence de la nuit leurs voix fraîches et rieuses monter, décroître, puis se perdre peu à peu dans l’éloignement.


II

Au sortir de Bermeo, la route, taillée en corniche au flanc de la montagne, suit exactement toutes les anfractuosités du rivage ; des deux côtés s’étagent des vergers, des champs de blé et de maïs, car les cultivateurs de ces contrées ne sont ni moins laborieux, ni moins habiles que les pêcheurs, et rien n’est beau à voir comme les épis