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seigneuriale avec son vaste écusson voilé de noir rappelle la perte récente de l’homme aussi éclairé que bienfaisant qui l’a quittée pour toujours, don José Antonio de Gortazar s’est attaché à continuer les traditions de son illustre famille. Jeune, riche, entouré de charmans enfans, adoré des siens, il n’a pas besoin de commander pour être obéi ; nul plus que lui n’est disposé à faire bon marché de sa fortune ou de son rang, mais nul n’est maître à son égal de toutes les volontés, de tous les dévoûmens : c’est le gouvernement consenti des humbles par le plus fort et le meilleur. Lui-même, avec une entière bonne grâce, me fournissait tous les détails sur cette discipline patriarcale si fort éloignée des habitudes de notre société impatiente et troublée. « Ici, me disait-il, à Munibe, de mémoire d’homme on n’a point augmenté le prix des fermages ; le paysan paie aujourd’hui la même redevance que payait son bisaïeul, il y a tantôt cent ans ; c’est que nos fermiers ne sont plus pour nous des étrangers, ce sont plutôt des membres de la famille agrandie : nous nous intéressons à leur bonheur, à leur bien-être ; nous regarderions comme une méchante action de mettre à profit leurs labeurs. A tout prendre, notre calcul n’est pas si mauvais qu’il en a l’air ; ce que nous perdons en argent comptant nous est rendu en reconnaissance et en affection. Et ne croyez pas que notre conduite soit une exception : sans sortir de Marquina, je voudrais vous montrer vingt maisons où le maître entend comme moi l’administration de ses biens. Cependant à Madrid, dans les chambres, dans les cafés, dans la presse, on nous accuse de peser sur le peuple, on nous traite de seigneurs féodaux. Ne savent-ils pas, ceux qui parlent ainsi, que le Vizcaye est le pays le plus démocratique du monde ? Ignorent-ils que la liberté est le fondement de nos lois ? Ont-ils oublié qu’ici le pâtre ou le laboureur a droit comme un autre à ses quartiers de noblesse et qu’en revanche les plus hauts barons n’ont jamais dédaigné de travailler et de faire fructifier leurs biens ? Dans un petit bois de noyers et de châtaigniers une tour portant un écu d’armes sculpté au-dessus de la porte, tout auprès, au bord du ruisseau, une forge et un moulin, voilà quel était le type des principales maisons du pays ; et cette forge, ce moulin, exploités par le maître en personne, lui fournissaient la meilleure part de son revenu ; il n’était que le premier de ses ouvriers et ne craignait point de se montrer les mains rougies par le minerai de fer ou noires de charbon. Depuis la dernière guerre civile, tuées par les hauts-fourneaux étrangers, ces petites forges se sont éteintes une à une, et il n’en reste plus que des ruines désertes, croulant dans tous les ruisseaux. Mais que nous voulions braver la concurrence, — et la chose nous est facile, grâce aux ressources inépuisables de notre sol, — que nous