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dormaient sur leur lit de foin parfumé deux enfans dont on n’apercevait que la tête, peut-être aussi le bout d’un petit pied rose… Signa s’avança tout doucement et toucha d’une grappe de groseilles la joue de la plus blonde des deux dormeuses, en riant de voir s’ouvrir aussitôt ses grands yeux bleus brillans, effarés. — « Vois ce que je t’apporte, Gemma ! — Il essayait de l’embrasser, mais elle repoussa ses lèvres : ce qu’elle voulait c’était son cadeau. — Donne, donne donc ! dit-elle en se dressant dans le foin dont les pâquerettes flétries s’attachaient aux boucles ébouriffées de ses cheveux… Si je ne mange pas vite, Palma va s’éveiller ! — Et elle broyait chaque grain rouge entre les perles de sa bouche vermeille comme le chevreau faisait de ses herbes. L’autre petite fille s’éveilla en effet. Se soulevant sur le coude : — C’est Signa ! s’écria-t-elle avec un cri de joie doux comme un roucoulement de colombe.

« — Et je ne t’ai pas gardé de groseilles, pauvre Palma ! dit le jeune garçon d’un ton de regret.

« Elle parut attristée, mais répliqua : — N’importe ! embrasse-moi.

« Et il alla l’embrasser, mais pour revenir à Gemma. Palma était habituée à ces choses. » ……..

Signa les aime toutes deux, ils sont voisins, ils ont été nourris ensemble du même air pur et du même soleil, ils sont tombés ensemble pauvres et nus dans la vie, mais Gemma est mille fois la plus belle, et d’instinct Signa adore le beau ; d’ailleurs il sait bien que la brune Palma l’aime de tout son cœur, tandis qu’il n’est jamais sûr de Gemma, et cette incertitude pleine d’angoisse est à tout âge le grand aiguillon de l’amour. Quelque honnête que soit le jeune garçon, Gemma lui fait voler les fruits qui la tentent. S’il n’y consentait pas, elle emploierait à sa place son rival Tista, un robuste gaillard plus grand que lui, et, tandis que Signa pleure son péché, elle se fait balancer sur une branche par ce même Tista, parce que Tista, étant très fort, la lance aussi haut qu’elle veut.

Ces scènes enfantines sont puériles peut-être, mais délicieusement rendues et elles se passent dans des jardins qui avec leurs statues brisées, leurs bosquets de myrtes, leurs bassins de marbre à demi cachés sous les plantes parasites, leurs terrasses dont les pierres disjointes servent de refuge aux lézards, leurs masses mystérieuses de verdure sombre, leurs parfums enivrans, ressemblent aux jardins de Boccace ou plutôt de Pétrarque. Les querelles, les raccommodemens, les jeux de deux beaux enfans, mêlent une note de piquant réalisme, dans le sens juste et louable du mot, à toute cette poésie.

Un jour, une ambition démesurée envahit l’âme de Signa ; un