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cosmopolite. Jadis ce fut un Phénicien, puis un Phocéen, qui firent la fortune commerciale de ce comptoir. Au moyen âge, le type du négociant marseillais est une sorte de Provençal tenant à la fois de l’Italien et de l’Espagnol, ou plutôt du Génois et du Catalan. À cette époque, république indépendante, gouvernée par un podestat étranger, Marseille donne plus d’une fois asile aux exilés de Gênes ou de Florence, qui viennent définitivement s’établir dans ses murs. Sous Colbert, Marseille est déclarée port franc, et le commerce passe presque entièrement aux mains des maisons levantines qui viennent à leur tour se fixer dans ce port. On leur donne droit de cité ; auparavant, sous Charles IX, on a fait mieux : le noble peut trafiquer sans déroger ; nobilis et mercator, disent les anciens contrats. Cela dure jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Des noms éminemment marseillais surgissent, comme celui de ce George Roux qui arme ses navires en corsaires à l’époque de la révolution américaine, et fièrement déclare la guerre au roi d’Angleterre par une lettre qui commence ainsi : « George Roux à George Roi. » toutefois le Levantin l’emporte alors sur le Marseillais indigène, comme aujourd’hui le Grec. Depuis que les massacres de Chio ont amené à Marseille une colonie hellénique, celle-ci a concentré dans ses bureaux la plus grande partie du trafic de la place, presque tout le commerce des grains, et ce n’est pas une des moindres curiosités de l’histoire que de constater ce retour des Chiotes vers Massilie, à peu près pour les mêmes causes, après 2,400 ans. Que si, comme autrefois les Levantins, les Grecs tiennent aujourd’hui à Marseille le haut du pavé, hâtons-nous de reconnaître que nombre de négocians marseillais méritent au même degré d’être cités, comme ceux qui, par leurs seules ressources, ont ouvert à ce port le trafic avec la côte orientale et occidentale d’Afrique, avec le Sénégal, la Guinée, le Gabon, Madagascar, Mozambique, Zanzibar. Il y a aussi nombre d’armateurs hardis qui, à leurs propres risques, sans aucune subvention de l’état, ont créé des lignes de navigation à vapeur avec les divers ports de la Méditerranée, du Brésil, de la Plata, de l’Inde, et qui, en toute justice, ne sauraient être non plus passés sous silence.

L’esprit créateur, le caractère entreprenant du Marseillais, se révèle dans les opérations industrielles, plus encore que dans celles de négoce ou d’armement. Sur ce point-là, il n’a guère à redouter la concurrence des maisons étrangères établies à ses côtés. La fabrication des produits chimiques, du savon, la trituration des graines oléagineuses, le raffinage du sucre de canne, le tannage des peaux, le lavage des laines, la mouture du blé, qui arrive en quantités si considérables, la préparation des liqueurs, des pâtes, des conserves, des salaisons, la distillation du pétrole, la fonte et l’affinage des minerais et des métaux, la construction des machines,