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Marseillaise. — Une raison géologique a sans doute aussi réglé l’accent local, comme le caractère. Cet accent, si aisément reconnaissable, jamais ne s’efface chez personne, quelque longue que soit l’absence. Il est sensiblement le même d’Arles à Nice. De Nice à Gênes existe l’accent piémontais, d’Arles à Bordeaux l’accent languedocien et gascon, et ceux-ci, pour le puriste, ne valent pas mieux que celui-là.

Le goût des libertés communales, si vif pendant toute l’antiquité et le moyen âge, n’a jamais disparu de chez le turbulent Marseillais, et explique ses votes, ses préférences politiques. Sous Louis XIV en 1660, sous la terreur, à la chute du premier empire, en juin 1848, en septembre 1870, en mars 1871, ont eu lieu des émeutes, des soulèvemens populaires, que nous n’essayons pas de justifier, mais dont rendrait compte peut-être le passé historique de Marseille.

La ville est belle, bien tracée, bien arrosée. Dans ces dernières années, le marteau du démolisseur l’a dégagée à l’instar de Paris, et l’architecte s’est plu à l’embellir. On a, par de longues et savantes percées, éventré enfin les vieux quartiers, où grouille, depuis tant de siècles, sur une éminence au nord de l’ancien port, une population mêlée et sordide. Il faudra longtemps encore pour faire disparaître cette sorte de cour des miracles, qu’on ne retrouve plus nulle part à Paris, et dont les plus hideux recoins de Gênes, de Rome ou de Naples, peuvent à peine donner une idée. Là, hier encore toutes les immondices roulaient avec l’eau dans le ruisseau au milieu de la rue ; là quelques rues portaient des noms qu’aucune langue honnête ne saurait répéter, et qui n’avaient point effarouché cependant les naïfs édiles du moyen âge ni ceux que nos pères ont connus. Comme dans les vieilles cités de la péninsule italique, le linge s’étale effrontément au dehors et sèche aux fenêtres, ou sur une corde qui court dans l’air, d’une maison à l’autre vis-à-vis. Sur le pas des portes, les commères rassemblées bavardent en tricotant, interpellent le passant dans leur grossier patois, souvent l’injurient, hardies, impudentes, fortes en gueule. Elles se rendent les unes aux autres, en visitant tour à tour leur chevelure, de ces services mutuels que les touristes qui ont visité l’Italie vous expliqueront au besoin. Là s’entassent le matelot étranger, l’émigrant dénué de ressources, le musicien ambulant, le receleur, le voleur, le souteneur de filles et toutes celles qu’il défend. Bref, c’est une population et un quartier à part, comme on n’en trouve plus dans aucune autre ville de France, qui fait tache dans la moderne Marseille, et qui fort heureusement disparaît davantage chaque jour.

Ce quartier du vieux port est tout ce que Marseille a gardé des anciens âges. Alors que Gênes, Venise, Pise, ces petites républiques qui furent les émules de la cité provençale, nous ont légué de ces