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d’avancer, son cavalier se replie sur la réserve et change de monture, en envoyant pour adieu à celle qu’il abandonne un solide coup de nerf de bœuf. Si son recado, trop dur ou accommodé avec trop de précipitation, a entamé l’échine de l’animal, il n’en prend nul souci ; les officiers, qui ne peuvent pas toujours assister à ces fréquens changemens de chevaux, s’habituent à ne pas prendre garde eux-mêmes à un accident si commun. On comprend que la caballada la mieux choisie offre en peu de temps une lamentable collection de côtes en saillie, de boulets engorgés, de dos écorchés à vif. Le mauvais état des chevaux est plus ou moins criant, selon les frontières. A la côte sud, on s’épuisait en efforts souvent heureux pour les tenir en haleine sans les excéder. Dans la division nord, une agréable surprise attendait le visiteur : il n’apercevait point un seul cheval blessé par la selle. L’officier qui avait obtenu un pareil résultat avec l’ancienne organisation de la cavalerie argentine mérite que l’on cite son nom : c’est le colonel don Conrado Villegas. Ce que ce simple détail révèle de vigilance et de volonté, il faut avoir fait campagne au désert avec une armée argentine pour le comprendre. — Bah ! nous avons tant de chevaux, ont le courage de vous dire quelques officiers. — Pauvre richesse en vérité ! ou plutôt gaspillage insensé et cruel qui jusqu’ici a eu pour premier résultat de mettre les troupeaux des plus riches provinces à la merci de quelques sauvages. Nous aurons à revenir sur ce sujet et sur les modifications apportées aujourd’hui à ce régime.

Pour le moment, qu’allait-on faire ? Deux divisions étaient à pied, et l’argent manquait pour les remonter. Heureusement le gouvernement de la province de Buenos-Ayres, moins pauvre que le gouvernement national, était animé de la meilleure volonté envers cette expédition, dont tous les bénéfices, du reste, devaient lui revenir. C’était pour lui que l’on travaillait en définitive : ces terres qu’on allait conquérir, il en prendrait possession et y exercerait ses droits de souveraineté le lendemain même de la conquête. Il mit à la disposition du docteur Alsina 500,000 francs. Cela représentait, au bas mot, 4,000 bons chevaux. Pendant qu’on les réunissait, nous reçûmes l’ordre de nous mettre en marche sur Guamini. On supposait que les Indiens, fraîchement étrillés, ne nous tiendraient pas tête. S’ils s’en avisaient, eh bien ! nous tâcherions de les étriller à notre tour. Au fond, nous ne les étrillâmes guère ; mais nous ne sommes pas encore arrivés.

Quelle charmante chose qu’une entrée en campagne ! Il n’y a peut-être qu’un moment plus délicieux, c’est celui du retour. Le soleil brillait, un soleil d’automne dans un pays sans brumes, — clair et doux. Nous marchions vers l’inconnu comme des