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documens de diplomatie indienne. Ils s’y livraient à des considérations de politique extérieure et intérieure, nous menaçant du Chili, du Brésil, des généraux Mitre et Rivas, et nous représentant combien le moment était mal choisi pour se brouiller avec les caciques. Ils nous engageaient à nous en aller, s’obligeant par les sermens les plus sacrés à ne pas inquiéter notre retraite. Cela était entremêlé de théories sur le droit des gens, sur l’iniquité de nos prétentions, et de mensonges effroyables sur l’état des autres frontières, qu’ils connaissaient, prétendaient-ils, par des courriers récemment interceptés. Il y avait aussi d’éloquens défis : « Sortez demain de vos retranchemens, et vous verrez si nous sommes des hommes. C’est à midi que nous vous attendrons. » Nous en sortîmes dès six heures du matin. Ce n’était pas dans l’intention de répondre à une fanfaronnade par une autre ; mais il devenait urgent de donner à nos chevaux quelque chose à mettre sous la dent, et on n’avait imaginé rien de mieux, pour protéger leur repas, que de faire prendre les armes à toute la division : c’était, pour des Indiens, beaucoup d’honneur, et ils nous rendirent la politesse. Ils se déployèrent en face de nous, mais hors de portée de fusil. Quand nous avancions d’un pas, ils reculaient de deux. Cela avait tout à fait l’air d’une bataille de théâtre, où les figurans ont grand soin de ne pas se faire de mal. Il faut convenir pourtant que la mise en scène était belle.

Leur ligne irrégulière de cavaliers occupait un front de près de deux lieues. Ils se tiennent en effet à distance les uns des autres et caracolent sans cesse pour ne pas offrir de prise aux projectiles. Une seule fois nous vîmes se former un groupe de quatre personnes. Ce devaient être les aides-de-camp de quelque chef venant prendre des ordres. On se hâta de leur envoyer un coup de canon ; mais ils avaient remarqué des allées et venues autour de la pièce. Quand le coup partit, la place qu’ils occupaient était nette. Les causeurs s’étaient dispersés au galop. Ils hurlaient tous à qui mieux mieux. Ces longues modulations, moitié féroces, moitié plaintives, car il y a même dans le cri de guerre du sauvage quelque chose de plaintif, roulaient de vallée en vallée, puis cessaient subitement. Alors leurs trompettes entonnaient, avec une remarquable pureté, quelque fanfare haut sonnante ; un cavalier, comme entraîné par l’enthousiasme, s’élançait vers nous à toute bride, tirait en l’air un coup de feu, et, tournant court son cheval à demi cabré, s’en retournait du même train. Pendant ce temps, nos chevaux se dédommageaient avec précipitation de leurs abstinences antérieures. On avait mis pied à terre, retiré les mors, en faisant de la bride un licol. Les chevaux sellés paissaient en rang, tenus en main par le cavalier ;