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ces menées électorales et ces menaces du suffrage universel ? Avouons-le avec tristesse et reconnaissons au moins le mal dont nous souffrons. Ce ne sont pas les idées qui nous séparent, ce sont les ambitions qui nous égarent, en France, il y a plus de prétentions que d’opinions. En vain dit-ou que la surface seule est agitée, que ce sont affaires de coteries, tempêtes de salons, il y a bien autre chose : dans les moindres localités, les coteries existent, les prétentions personnelles s’agitent, chacun veut la place, l’importance, le rang d’autrui, et pour l’obtenir il n’y a qu’un moyen efficace, victorieux, celui de soulever la foule, de trouver le préjugé qui l’irritera le plus vite, l’accusation ayant aisément cours, et de charger l’adversaire Ou le compétiteur de crimes imaginaires d’où résultera sa défaite, mais dont la revanche ne manquera pas de se produire plus tard.

Ainsi le choc des prétentions et non la lutte des opinions, voilà d’une part ce qui explique comment on innove si peu, et comment le pays s’administre en somme de la même manière à Paris et partout ailleurs ; mais d’autre part, c’est ce qui fait craindre que notre pays ne soit longtemps à la recherche d’un gouvernement stable et régulier. Nous sommes administrés avec méthode, avec soin même, les besoins du jour sont satisfaits, l’étude de l’administration municipale de Paris en particulier le démontre avec évidence ; mais sommes-nous gouvernés, avons-nous la sécurité du lendemain, les perspectives de l’avenir, le sentiment profond, qu’une constitution quelle qu’elle soit, qu’une forme politique quelconque préservera les intérêts vitaux du travail, de la liberté sage, du progrès matériel, intellectuel et moral contre les surprises révolutionnaires du suffrage universel égaré par de coupables ambitions ? Sans être divisés par des principes, nous sommes séparés par des incompatibilités d’humeur, ce qui est moins grave peut-être, mais bien autrement difficile à vaincre ; au lieu d’intérêts généraux qui passionnent le suffrage universel, ce sont des intérêts particuliers, des convenances personnelles qui l’enrégimentent sous des drapeaux sans devises, ou plutôt avec des devises mensongères. À ces agitations stériles qui compromettraient la grandeur et la prospérité de notre pays à jamais, le seul remède ne peut venir que de la revanche du bon sens publia contre les agissemens de ceux qu’on appelle aux États-Unis les politicians et dont la race semble s’implanter chez nous-mêmes. Si les affaires se séparent de plus en plus de la politique, et nous avons plus d’une fois constaté cet heureux symptôme dans l’étude des mœurs financières de la France, si cette quasi-indifférence des intérêts matériels à l’endroit des discussions stériles et des votes parlementaires, dont la solidité de