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nombre de sénateurs qui ont grossi la majorité sans aucune espèce d’entraînement, qui même encore aujourd’hui ne sont nullement rassurés sur les conséquences de leur vote et qui en réalité n’ont accordé la dissolution que pour ne pas infliger un échec à M. le président de la république, pour ne point prendre l’initiative ou la responsabilité d’une crise d’un autre genre. Le sénat a cédé à cette pression de la force des choses sous laquelle il s’est trouvé placé, c’était tout ce qu’on lui demandait. On l’a engagé dans la politique du 16 mai, oui sans doute ; croit-on cependant avoir fortifié son autorité dans l’ordre de ses vraies fonctions parlementaires ? Quelle serait sa position, si la majorité de la chambre qu’il a aidé à dissoudre revenait triomphante, retrempée dans un nouveau scrutin ? La lutte et la confusion seraient partout. Le sénat resterait toujours sans doute une institution nécessaire ; il n’aurait pas moins essuyé un échec moral qui l’aurait affaibli. Le sénat et M. le président de la république seraient des vaincus. Pour avoir voulu forcer deux des ressorts principaux de l’organisation constitutionnelle, on aurait risqué de les faire éclater. Qu’est-ce donc que cette politique conservatrice qui compromet tout ce qu’elle touche, l’assemblée modératrice aussi bien que l’autorité du chef de l’état, qui ne se sert des forces les plus précieuses que pour les ruiner, et qui est réduite à se débattre dans une situation où le pays déconcerté fiait par ne plus savoir si le gouvernement est le gardien ou l’ennemi des institutions au nom desquelles il est censé exister ?

Le gouvernement veut rester dans la légalité, il le dit, nous le croyons sur parole. Il n’a aucun mauvais dessein contre les institutions, contre la république, bien qu’il ose à peine les appeler par leur nom ; il ne médite aucun coup d’état. Il ne combat que le radicalisme ; mais, si tout le monde ne le croit pas autant que nous voulons le croire, si l’équivoque est partout et ne fait que s’aggraver, c’est sa faute, il recueille ce qu’il a semé ! C’est la faute de ses actes, de son attitude générale, de ses interprétations’ arbitraires de ce qu’il appelle les intérêts conservateurs, de ses réticences obligées, de ses amis et partisans. C’est surtout la conséquence fatale de cette coalition prétendue conservatrice sur laquelle il s’appuie, qui est son unique moyen de vivre, et qui est en même temps sa faiblesse. Là est le nœud de la situation. Que les légitimistes, les bonapartistes, les cléricaux, les orléanistes, qui sont entrés dans l’alliance se brouillent un instant et se séparent, le ministère disparaît, il n’a plus ni raison d’être, ni appuis visibles, ni auxiliaires. Comment cependant faire vivre ensemble des partis si violemment, si profondément divisés par leurs souvenirs et par leurs espérances, par leurs traditions et par leurs opinions ? Il paraît que ce n’est pas facile. M. le présidant du conseil doit le savoir, il doit avoir besoin de toutes les ressources de sa diplomatie pour rajuster les fils de