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coalisés dont l’unique lien est la haine des institutions que chacun d’eux aspire à supprimer à son profit sous l’œil paternel et même sans la garantie du gouvernement.

Ce qu’il y a d’étrange et de comique ou de triste, si l’on veut, c’est la naïveté avec laquelle les légitimistes et la fraction de ceux qui s’appellent constitutionnels, après avoir concouru à tout ce qui s’est fait depuis deux mois, s’étonnent des résultats et se plaignent de leurs alliés du bonapartisme. Est-ce qu’ils se sont figuré que les bonapartistes, en multipliant les efforts pour déconsidérer la dernière chambre et la république, en se prêtant ardemment à la dissolution, travaillaient pour eux, pour la réalisation de leurs espérances, pour la monarchie traditionnelle ou constitutionnelle ? Les bonapartistes profitent de tout depuis quelques années pour reconquérir un ascendant perdu dans des désastres que la France doit à l’empire et que les habiles s’efforcent de rejeter sur d’autres. Ils ont profité une première fois du 24 mai 1873, ils viennent de profiter du 16 mai 1877, et ils comptent bien, eux aussi, aller jusqu’au bout. On leur livre la république, les institutions, ils ne sont occupés qu’à discréditer le régime légal sous lequel ils vivent, qu’on a la faiblesse de ne pas défendre contre eux. On parle d’union conservatrice, ils se présentent comme les grands restaurateurs de l’ordre, ils ont toutes les armes répressives de l’empire à offrir au ministère. On fait briller la dissolution de la chambre des députés, c’est leur affaire, ils ne demandent pas mieux que d’agiter, de montrer que la république est impossible. Ne voit-on pas que, dans la situation qui nous a été faite par une série de circonstances étranges et souvent par la connivence aveugle des gouvernemens, les bonapartistes, à demi relevés de leur déchéance de 1871, sont encore ceux qui ont le plus de chances de capter le suffrage universel ? Est-ce qu’on ne sait pas que l’empire, malgré les effroyables ruines dont il a légué l’héritage à la France, a trouvé le moyen d’avoir plus de nominations que les autres partis monarchistes dans les dernières élections ? Les bonapartistes sont après tout logiques dans leur âpreté ; ils savent ce qu’ils veulent, et ils ne craignent pas de se prêter à toutes les coalitions parce qu’ils se croient en mesure d’en recueillir le bénéfice. Les ingénus et les imprévoyans sont ceux qui, après avoir fait les affaires de l’empire, s’étonnent de ne pas rester les maîtres, d’avoir à compter avec les demeurans de 1852 et de 1870 ; ce sont ceux qui, au risque d’être des dupes, par une antipathie presque puérile pour le nom de république, préfèrent l’alliance césarienne à une alliance avec cette foule d’hommes modérés qui ne demanderaient pas mieux que de faire la république sensée, régulière, conservatrice. lis s’exposent à expier cruellement leur méprise et le plaisir passager qu’ils ont eu de contribuer à favoriser une politique dont il est douteux qu’ils recueillent quelque avantage pour leur propre cause.