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personnel consistait à se coiffer d’un képi galonné, il envoya la quittance à la préfecture de police avec un bon à payer. On ne sait quelle mouche piqua le directeur du matériel, qui, pris de scrupule, répondit : « Le citoyen directeur est prié de solder lui-même la facture, l’ex-préfecture n’étant pas tenue de l’habiller. » Ce fut là un sérieux chagrin pour Caullet, qui n’y comprenait rien et répétait : « On doute donc de mon dévoûment ? » Il n’avait péché que par naïveté ; s’il eût réquisitionné son képi, c’eût été régulier, et, sans soulever la moindre objection, l’on eût « passé les écritures. »

Le 7 avril, sept otages nouveaux vinrent prendre place dans la division cellulaire ; c’étaient des gendarmes qui se trouvaient confondus, par le hasard des séquestrations arbitraires, avec MM. Icard, directeur, et Roussel, économe du séminaire Saint-Sulpice. À propos de ces deux derniers détenus, on put voir que Caullet avait une mansuétude naturelle qu’il était facile d’émouvoir. Par fonction, il était rigoureusement tenu d’obéir aux instructions de Raoul Rigault, comme employé du gouvernement communard, il devait à sa propre sécurité de professer hautement l’athéisme et la libre pensée ; mais, entraîné par un bon sentiment, il oublia les ordres impératifs de Rigault, oublia le danger auquel il s’exposait et permit à M. Icard de dire quotidiennement la messe dans la sacristie de la chapelle. Ce fut probablement un matin qu’il accorda cette autorisation, sur laquelle il ne revint jamais. Du reste, dans cette bonne œuvre, tout le personnel était son complice et lui garda le secret. Il n’était pas toujours aussi bienveillant, et l’un de ses détenus, M. Claude, eut parfois à souffrir de son indiscrétion. Le soir, lorsque Caullet recevait ses amis et ses amies, lorsque beaucoup de bouteilles arrivées pleines s’en étaient allées vides, il faisait les honneurs de la prison à ses invités, il les conduisait à la cellule de M. Claude, et, leur montrant le chef de la sûreté, qui avait pris l’habitude de dormir tout vêtu, car il redoutait à chaque minute d’être appelé pour être passé par les armes, il disait : « Le voilà ! c’est lui ! il appartient désormais à la justice du peuple ! » Ces démonstrations, qui cependant n’étaient que le fait d’une curiosité inconvenante, ne rassuraient pas M. Claude et le surprenaient, car Caullet, aux heures matinales de la complaisance, s’était montré empressé pour lui et l’avait même autorisé à recevoir les visites de sa femme.

M. Claude était l’objet des constantes préoccupations des greffiers et des surveillans, qui, l’ayant vu dévoué à son œuvre de sécurité sociale, l’estimaient et auraient voulu le sauver. Un petit complot avait même été formé dans ce dessein. M. Laloë s’était procuré un uniforme d’officier fédéré ; on comptait l’en revêtir pour le faire évader un soir pendant que Caullet eût été à la préfecture de police ou endormi devant son verre. Un peu de réflexion fit renoncer à ce