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dans une forteresse, traités comme des prisonniers de guerre ; on leur répond : « Ça ne vous regarde pas, » et, lorsqu’ils insistent, on leur chante des couplets si particulièrement grivois qu’ils sont obligés de se boucher les oreilles. Le 21 mai enfin, on conduit le père Captier devant un tribunal composé du seul Lucipia. À toutes les questions qui lui sont adressées, celui-ci répond d’un ton goguenard : « Mais de quoi vous tourmentez-vous ? Vous n’êtes pas accusés ; la justice a des formalités auxquelles nous sommes contraints de nous soumettre ; vous avez vu l’incendie, le prétendu incendie du château de La Place, vous savez parfaitement que c’était un signal destiné aux Versaillais ; nous vous gardons simplement comme témoins, afin que vous puissiez déposer lorsque nous instruirons l’affaire. »

Ces formalités de justice paraissaient étranges aux dominicains, qui ne cessaient de réclamer leur liberté. Léo Meillet se déclarait impuissant à la leur rendre, il disait qu’il n’avait agi qu’en vertu d’ordres supérieurs expédiés par le comité de salut public. On était sans doute fatigué des réclamations que les pères adressaient aux gens qui les gardaient et l’on voulut mater leur résistance, car on les laissa deux jours entiers, le 22 et le 23 mai, sans nourriture. Pendant qu’on les faisait un peu mourir de faim au fond de leur casemate, on procédait dans l’école d’Albert le Grand à ce que les euphémismes de la commune appelaient une perquisition et que tous les honnêtes gens nomment un vol avec effraction. Sur l’ordre donné par Léo Meillet, le 120e bataillon, aidé de 200 hommes empruntés au 160% entre le 24 mai à midi dans la maison des dominicains. Les scellés sont brisés, ce qui était facile ; les portes sont enfoncées, ce qui était naturel ; tous les objets de quelque valeur sont enlevés, ce qui était logique. Il ne fallut pas moins de douze prolonges d’artillerie et de huit voitures réquisitionnées pour emporter les meubles, le linge et le reste ; 15,000 ou 16,000 francs, représentés par des obligations de chemins de fer et constituant toutes les économies de deux domestiques attachés à la maison, furent déclarés « biens nationaux » et passèrent dans des poches où on ne les a jamais retrouvés. Après cette perquisition, l’école devait être incendiée, mais elle fut sauvée par ses caves, qui étaient assez bien garnies ; les fédérés n’eurent garde de ne pas les visiter : ils y burent et y restèrent vautrés les uns à côté des autres. Lorsqu’ils parlèrent de « flamber la cambuse, » un sous-lieutenant appelé Quesnot, qui avait été nommé gardien des scellés, déclara que le fort de Bicêtre se réservait de démolir l’établissement à coups de canon. Ils acceptèrent heureusement ce mensonge pour parole de vérité, et l’école d’Albert le Grand ne fut point brûlée.

Le lendemain Léo Meillet et les officiers commençaient à ne plus se