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trouver en sûreté au fort de Bicêtre. L’armée approchait, et la situation pouvait devenir périlleuse ; ils résolurent d’évacuer et de se replier sur Paris, où de nombreuses barricades bien munies d’artillerie permettaient de continuer la résistance et où les rues enchevêtrées des quartiers excentriques promettaient une fuite presque assurée. On procéda donc au départ, qui se fit d’une façon un peu précipitée, mais on n’oublia pas le butin recueilli la veille sur l’ennemi dans la maison des dominicains. Toutes les voitures disponibles furent employées à le charrier vers Paris. L’évacuation avait été tellement rapide que l’on abandonna les captifs dans leur casemate ; ils eurent un moment d’espoir et s’imaginèrent que « Versailles » arriverait à temps pour les délivrer. Ils avaient compté sans Serizier, qui pensait à eux et le leur prouva. Un détachement du 185e bataillon vint les chercher et les emmena. Les deux enfans et deux domestiques belges, ayant démontré leur nationalité étrangère, avaient été relaxés ; un père Rousselin, grâce à des habits laïques qu’il avait revêtus avant l’arrestation, put s’évader entre le fort de Bicêtre et le mur d’enceinte. Les otages, tous reconnaissables à leur ample robe noire et blanche, étaient donc au nombre de vingt, lorsqu’ils pénétrèrent dans Paris par la barrière de Fontainebleau.

À travers les huées, les injures, les imprécations de la foule, ils arrivèrent place d’Italie, — que l’on appelait alors la place du général Duval, — à ce vaste rond-point où aboutissent l’avenue d’Italie, l’avenue de Choisy, le boulevard de la Gare et la rue Mouffetard ; on les fit entrer dans la mairie du XIIIe arrondissement. L’armée française, arrêtée pendant toute la journée de la veille par l’artillerie fédérée de la Butte-aux-Cailles qui bat Montrouge, n’a pu franchir les ravins de la Bièvre que dans la matinée du 25 mai ; elle vient d’installer derrière le chemin de fer de Sceaux une batterie dont les projectiles ricochent jusque sur la place d’Italie. La mairie du XIIIe arrondissement n’est plus tenable, on emmène les dominicains, mais pas avant qu’ils aient vu fusiller sous leurs propres yeux un homme accusé de connivence avec les Versaillais. On les conduit presque au pas de course, avenue d’Italie, no 38, à la geôle disciplinaire du secteur ; lorsqu’embarrassés dans les plis de leurs vêtemens ils ne marchaient pas assez vite, on leur donnait des coups de crosse en disant, par allusion à leur costume noir et blanc : « Hue donc, la pie ! » Ils furent écroués dans la prison. Là Serizier les tenait en main ; il était le maître de leur sort. Dès la veille, en prévision de l’événement qu’il avait préparé, voulant avoir dans sa geôle un homme sur le dévoûment duquel il put compter, il y avait nommé comme gardien chef son ami Louis Boin, c’est-à-dire Bobèche. La prison était pleine, elle contenait 97 personnes arrêtées dans le quartier et conservées à la disposition de Serizier, Bobèche, fatigué