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ayant dressé une liste de détenus, Serizier ordonnait à Bobèche d’extraire un prisonnier désigné, Busquant entra précipitamment, se pencha vers lui, et lui dit quelques paroles à voix basse. Le colonel de la 13e légion lâcha les paperasses qu’il tenait en mains, fit un bond, traversa l’avenue, se jeta dans une des maisons qui communiquent avec l’avenue de Choisy et disparut. Le lieutenant Busquant lui avait annoncé que les troupes françaises arrivaient par l’avenue d’Italie et que la cavalerie du général Du Barrail montrait déjà ses têtes de colonne. La position était à la fois tournée et cernée ; Serizier le comprit et s’esquiva. Lorsque les troupes du 113e de ligne arrivèrent, elles ne purent que ramasser les cadavres des dominicains affreusement mutilés !

Serizier se doutait du sort qui lui était réservé et il mit tout en œuvre pour s’y soustraire. Peut-être y serait-il parvenu s’il n’avait tué que d’inoffensifs religieux ; mais il avait commis d’autres meurtres, et l’un de ceux-ci fut cause de sa perte. Dans des circonstances qui ne doivent pas appartenir à ce récit, il avait fait fusiller un garde national qu’il accusait, comme toujours, de connivence avec Versailles. Ce fédéré, qui avait été très sommairement exécuté, était marié, et sa femme l’aimait tendrement. Elle n’oublia pas celui qui l’avait rendu veuve, et se jura de ne point laisser sans vengeance la mort de son mari. Dès que les troupes françaises eurent occupé toute la portion de Paris située sur la rive gauche de la Seine, elle se mit en campagne discrètement, ne confiant son projet à personne. De tous côtés, autour d’elle, on disait : « Serizier est mort ; il a été fusillé, il a été tué sur une barricade ; » elle n’en croyait rien, la haine est perspicace, et elle n’ajoutait aucune foi à tous les bruits vains ou intéressés que l’on fit courir alors sur la prétendue fin de la plupart des chefs de l’insurrection. Elle commença très prudemment son enquête et acquit bientôt la certitude que dans la soirée du 25 mai Serizier avait été vu place Jeanne-d’Arc, qu’il était fort agité, cherchait à se cacher, se plaignait de porter un uniforme qui le ferait indubitablement reconnaître, qu’enfin, pendant la nuit, il avait été recueilli dans une maison de la rue du Château-des-Rentiers, d’où il était sorti aux premières heures de la matinée du 26 mai, revêtu d’habits bourgeois. Là, elle perdait sa piste.

Elle organisa alors tout un plan d’attaque, car elle était persuadée que Serizier n’avait pas quitté Paris. Elle se dit qu’il était corroyeur, que l’argent qu’il avait dans ses poches au moment de la défaite serait vite épuisé, que la nécessité de gagner sa vie le forcerait à travailler a de son état, » et qu’il essaierait certainement de se perdre au milieu d’un atelier. Il existe à Paris 232 ateliers de