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roman. La légende, formée promptement autour du nom de Molière, s’est donc obscurcie promptement autour de l’histoire de sa vie. D’autre part, la critique en ce temps-là ne se piquait pas de beaucoup de rigueur : il faut voir l’indignation de Grimarest « contre ceux qui ont le goût difficile, » c’est-à-dire contre ceux qui réclament de lui des témoignages autorisés et des actes authentiques ; il en devient presque éloquent. On eût aimé que M. Lacroix discutât ces biographies et notices qu’il énumère, et, pour tout dire, que parfois il les jugeât avec plus de sévérité qu’il ne fait; surtout on eût aimé que, sous forme d’introduction ou de préface, brièvement, il montrât les méthodes nouvelles à l’œuvre, et chaque progrès de la critique, en jetant les « moliéristes, » comme ils s’appellent, sur une piste inexplorée, faisant faire un nouveau pas à la biographie de leur maître.

Ainsi ce ne sont d’abord, comme ce pamphlet malpropre de la Fameuse Comédienne, tantôt que tissus d’allégations calomnieuses et compilations de scandales de coulisses; tantôt, comme l’ouvrage de Grimarest, la Vie de M. de Molière, ce ne sont que recueils d’anecdotes invraisemblables, ramassées un peu de toutes mains, où pas une date n’est exacte et pas une assertion ne porte avec soi sa preuve. Plus tard, mais plus d’un siècle malheureusement après la mort de Molière, on s’avise d’employer à l’éclaircissement de l’histoire de sa vie « les mêmes moyens dont on se sert pour établir les droits des familles, » on compulse les registres des paroisses, on refait un état civil à Molière, à sa famille, aux compagnons de ses épreuves et de ses travaux : les recherches du laborieux, mais quelquefois naïf Beffara, les premières éditions de l’Histoire de la vie et des ouvrages de Molière par M. Taschereau, sont dirigées dans ce sens et conçues dans cet esprit. Plus tard encore, un historien qui sait par le menu les hommes et les choses du XVIIe siècle, difficile à contenter, difficile à convaincre, applique pour la première fois à cette question d’histoire littéraire cette méthode ingénieuse, féconde, riche en surprises, de contrôle et de vérification par les faits de l’histoire générale : après trente ans passés, les Notes historiques sur la vie de Molière, publiées ici même par M. Bazin, restent au nombre des meilleurs travaux que l’on doive consulter sur Molière. Plus tard enfin la critique naturelle à son tour, cette critique savante, mais parfois aventureuse qui veut soumettre les grands hommes à la dépendance étroite, nécessaire, absolue des circonstances extérieures, de la « race, » du « milieu, » du « moment, » s’empare du sujet, l’étend, l’anime, le renouvelle. Elle imagine de remplir, au moyen des actes notariés, — obligations, contrats de vente et de mariages, inventaires après décès, — les vastes lacunes qui séparent