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sont précaires les espérances que l’agriculteur peut fonder sur ses moissons, que, dans les mauvaises années, le nombre d’acres soumis à la culture a été infiniment plus élevé que dans les bonnes ; en 1866, où la récolte a rendu 6 millions de boisseaux, il n’y avait eu d’ensemencés que 457,000 acres ; en 1867, où elle ne rendit que 2,500,000 boisseaux, il y en eut d’ensemencés 550,000, et enfin en 1870, où elle rejoignit le chiffre de 1866, il en fut ensemencé 604,000, soit 150,000 de plus qu’en 1866 pour le même résultat.

À ce manque d’équilibre dans la fertilité du sol, et à tous ces fléaux naturels vient s’ajouter pour le free selecter une cause permanente de gêne dans l’exagération des prix du travail rural, qui ont atteint peut-être en Australie leur plus haut point d’élévation actuel. Dans Queensland, le salaire moyen d’un ouvrier cultivateur est d’environ 15 shillings par semaine, plus les rations, qui sont de 14 livres de viande, de 8 livres de farine, de 2 livres de sucre et d’un quart de thé. Dans la Nouvelle-Galles du sud, ce salaire moyen hausse jusqu’à 1h shillings par semaine, plus les rations. En Tasmanie, il est un peu plus modéré, grâce probablement à la position insulaire de la colonie, qui rend les déplacemens d’ouvriers plus difficiles, et aussi parce que le travail agricole y est plus général et de plus ancienne date ; cependant un valet de ferme reçoit encore des gages de 30 livres sterling par an (750 francs), plus sa nourriture et son logement, plus une somme extra de 3 à 4 livres pour le temps de la moisson. Dans l’Australie du sud, 22 shillings par semaine est le salaire le plus habituel. Enfin dans l’Australie de l’ouest, la plus pauvre des colonies, celle où la terre est du plus maigre rendement et la vente des produits le plus difficile, l’agriculteur n’obtient pas aide à moins de 30 à 40 shillings par mois, plus les rations. Le prix des produits, mis en regard de ces salaires, qui sont loin de constituer tous les frais de revient, présente d’assez modestes bénéfices. En Tasmanie, où la terre est extrêmement fertile et en outre bien cultivée, le produit net n’est pas de plus de 10 shillings par acre ; dans l’Australie du sud, où le free selecter abuse cependant des ressources d’une terre vierge, le rendement est de 5 boisseaux de blé par acre, ce qui, à un prix moyen de 5 shillings par boisseau, donne la somme encore assez maigre de 25 shillings. Il résulte de cette élévation des salaires que, si le free selecter ne peut pas cultiver sa terre lui-même ou par le moyen de sa famille, il marche à pas précipités dans la voie de la gêne. Heureux est-il alors si, dans la saison de la tonte, il peut entrer aux gages du squatter, et prélever ainsi sur ce voisin abhorré les ressources nécessaires pour retarder la ruine et s’épargner la honte de lui vendre son lot.

Le prix de la terre a beau être modeste, les facilités de paiement