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C’est un aristocrate, et il en a déjà les charges traditionnelles, dont la plus considérable et la plus pesante, mais celle aussi qu’il exerce avec le plus de largesse, est l’hospitalité. Sa maison, comme le château du baron féodal, est une sorte d’hôtellerie commune à ses concitoyens et ouverte à tout voyageur, quelle que soit sa condition. L’absence de centres ruraux, l’étendue des distances, le mauvais état des routes, la rareté des petites villes, font au squatter une loi de cette hospitalité, et il s’y soumet de la meilleure grâce du monde. Et jamais cette hospitalité n’est prise au dépourvu, il y a toujours une place à la table du maître pour le confrère en élevage de troupeaux ou le voyageur qui se recommande par son éducation et ses manières. C’est une sorte de principe admis que la maison d’un squatter n’est jamais si pleine qu’on ne puisse y loger un nouvel arrivant. Cette hospitalité est presque un droit que le voyageur peut exercer sans scrupule et qui le dispense presque de toute reconnaissance; chez les squatters très riches et qui tiennent grand état, il est logé et traité dans la maison de l’overseer, sans avoir à présenter ses remercîmens et ses excuses au maître, qui ignore sa présence, et qui ne saura que tel étranger a passé chez lui que s’il examine minutieusement les règlemens de compte de son intendant. Mais c’est par rapport aux gens du commun peuple que cette hospitalité des squatters est véritablement une institution australienne. Les ouvriers rustiques en Australie vivent presqu’à l’état de tribus nomades, circonstance qui s’explique aisément par la faible importance de l’élément agricole proprement dit, qui ne leur offre aucune permanence de travail, et la nature de leurs occupations, qui, étant essentiellement temporaires, les obligent à changer fréquemment de place. Vienne la saison de la tonte et du lavage des troupeaux, ils trouveront de l’occupation pendant plusieurs mois dans les stations, mais, passé cette époque, il leur faut chercher du travail, et le travail n’abonde pas dans un pays composé de riches pasteurs qui n’ont pas besoin de bras et de petits agriculteurs qui se refusent par économie à les employer, si grand besoin qu’ils en aient. Dans cette poursuite du travail à travers les vastes solitudes australiennes, ils trouvent une hôtellerie gratuite dans la demeure du squatter, et il est aisé de comprendre qu’ils ne mettent aucun empressement à terminer leur recherche, sûrs qu’ils sont de rencontrer partout gîte et pâtée. Ils arrivent à la station, portant sur leur dos leur bagage, leur couverture et leur marmite, sont logés dans une hutte tout particulièrement construite pour leur usage, dorment paisiblement, font leurs deux repas par jour, et partent lorsqu’ils sont reposés de leurs fatigues, pour aller frapper à la porte d’une autre station, en sorte que par l’emploi de ce moyen ingénieux et aujourd’hui passé en habitude, ils continuent à se faire loger et