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ESSAI
SUR
LES CAUSES DU DEGOUT

Il y a, pour exprimer les états divers de l’âme et du corps, des mots simples que tout le monde comprend aussi facilement que le sentiment psychologique qu’ils sont destinés à traduire : voilà pourquoi une définition des termes tels que plaisir, douleur, goût, dégoût, serait non-seulement inutile, mais encore dangereuse, en introduisant dans la définition même une première hypothèse qui ne ferait qu’obscurcir la question. Il n’y a donc pas lieu de définir le dégoût. Remarquons toutefois que l’expression, prise d’abord dans son sens propre, a été employée ensuite au figuré. Du monde matériel, elle a passé dans le monde moral, en sorte qu’il y a d’une part un dégoût tout physique, une répulsion du goût, caractérisée par des symptômes physiologiques particuliers, et d’autre part une sensation analogue, d’ordre moral, que le langage, exprimant le sentiment universel, a assimilée au dégoût physiologique en lui conservant le même nom. Notre intention est d’étudier la nature même de cette sensation, aussi bien dans le domaine du corps que dans le domaine de l’esprit, et surtout de chercher suivant quelles causes elle vient à naître, et s’il faut voir dans la répugnance physique ou morale des hommes pour certains objets un effet du hasard ou le résultat d’une loi cachée. Un instinct humain, pour être étrange et inexpliqué, n’en est pas moins digne d’attention, et le fameux précepte de Socrate, qui engage l’homme à se connaître lui-même, ne fait pas de partage entre les sentimens nobles et les sentimens bas.