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III.

Venons maintenant à ce qui concerne les animaux. Les êtres vivans qui pullulent autour de nous sont innombrables, et excitent en nous des sentimens divers. Une huître, un papillon, un crapaud, un lion, éveillent des idées qui ne sont pas comparables; cependant par l’analyse psychologique on arrive à reconnaître une même cause à nos sentimens vis-à-vis de ces êtres.

Nous pouvons, avant d’en donner la démonstration, formuler nettement une loi très générale, analogue à celle que nous venons de démontrer pour les substances minérales et pour les plantes, c’est que les animaux nuisibles et inutiles nous inspirent du dégoût, et que la répulsion qu’ils éveillent en nous est en rapport avec les lois de la finalité.

Ainsi les animaux qui constituent notre nourriture ne peuvent vraiment pas nous paraître répugnans : souvent, il est vrai, à les voir dans l’étable, la bergerie, le poulailler, ils ne présentent pas un spectacle bien réjouissant à l’œil ; néanmoins, par eux-mêmes, le bœuf, le mouton, la poule, n’ont rien qui excite la répulsion. Par une assimilation toute simple, nous étendons à tous les mammifères et à tous les oiseaux ce sentiment, de sorte qu’en général nous n’avons de dégoût pour aucun de ces animaux. Il y a cependant quelques exceptions qu’il est facile d’expliquer. Ainsi les porcs, qui se nourrissent de matières abjectes, les rats, qui vivent dans la vermine, les oiseaux de proie, qui se repaissent de charognes, sont l’objet d’une vive répulsion. Mais on peut expliquer ces sentimens par une association d’idées très simples et primesautières, et il est à remarquer que les rats et les oiseaux de proie ne peuvent que rarement faire l’objet de notre nourriture.

Pour les reptiles, le sentiment est tout autre : ils sont peut-être de tous les animaux ceux qui nous inspirent le plus de dégoût. Le contact de la peau gluante et visqueuse d’un crapaud nous donne une sensation pénible, mélange de terreur et de dégoût, qu’il est difficile de surmonter. La nature, qui est aveugle, a étendu ce même sentiment à tous les animaux semblables, en sorte que la grenouille, qui est inoffensive, nous dégoûte presque autant que le crapaud, qui est venimeux, et que, livrés à notre seul instinct, nous n’établirions pas de différence entre une vipère dangereuse et une innocente couleuvre. Ici, comme pour les plantes, les distinctions subtiles n’existent pas : les reptiles et les animaux à peau nue, froide et visqueuse sont en général dangereux pour l’homme, et l’homme a pour eux de la répulsion sans se demander si tel ou tel serpent a