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il devint chaque jour plus accessible à des sentimens tout nouveaux pour lui. Son âme, toujours ardente et jeune, qui le poussait autrefois d’un essor si rapide vers l’action, apprit à concentrer toutes ses forces vers un but plus élevé; il se surprit plus d’une fois à découvrir autour de lui des amis qu’il n’avait pas su deviner et qui devinrent peu à peu les confidens intimes de sa souffrance : le golfe argenté sous le soleil du matin, et d’un bleu sombre à midi eut pour la première fois devant lui un sens muet et profond dont il se rendait compte. Il se plut à suivre des yeux la forme changeante d’un nuage, il grava dans sa mémoire les contours harmonieux des montagnes de Roumélie que les rayons du soir enveloppaient d’un voile rose, il s’attristait à voir un arbre dépouillé de ses feuilles et déjà brûlé.

Bientôt il fut visible pour tous que Spiridion n’était plus le même, et ses compagnons, qui lui croyaient plus de courage, disaient qu’il avait la nostalgie de l’étranger. Lui ne s’en défendait pas : il trouvait déjà naturel qu’on ne comprît pas sa pensée. L’amour avait élevé son esprit jusqu’à l’isoler. — Au reste, ils ont raison, se disait-il, et je n’aurais pas dû revenir. Quel charme trouverai-je à Lithara? pourquoi resterai-je? Le village à présent me semble désert; pourrai-je y vivre près de toi et sans toi?

Dionyiza seule ne se méprenait pas à cette douloureuse métamorphose. Les femmes ont un sens délicat, une instinctive pitié, qui cherche et saisit la cause des souffrances cachées. Elle pénétra seule et sans peine sa tristesse : du jour où son mariage avait été mis en question, elle l’avait appréhendée, et elle était beaucoup plus attentive qu’il ne paraissait à l’attitude de Spiridion depuis son retour.

Dès longtemps elle se savait aimée de lui, et, s’il n’avait jamais osé le lui dire, elle sentait qu’elle l’avait compris, qu’elle ne s’en était pas offensée et qu’il existait entre eux plus qu’une promesse, un engagement inexprimé. Elle épousa cependant Constantin, non qu’elle l’aimât, mais avec l’insouciance d’une jeune fille chaste qui ne voit dans le mariage qu’un brusque changement et le charme d’une indépendance et d’un pouvoir longtemps rêvés. En outre, chacun l’y engageait; ses parens lui représentaient les avantages d’une pareille union : elle serait riche, elle aurait les vignes les plus fertiles et le plus grand jardin de Lithara. — Spiridion, lui, était pauvre; mais elle avait le cœur trop entièrement jeune pour s’arrêter à cette seule idée; une impression d’une tout autre nature, qui l’avait toujours tenue en réserve et la troublait en même temps, la détacha de lui. Elle se sentait successivement attirée, puis décontenancée sous son regard; les paroles affectueuses mouraient sur ses lèvres, et jamais un instant de cet abandon tant rêvé n’avait