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avait simplement saisi les costumes de gymnastique des pompiers et on les leur avait distribués. En outre, on avait fait confectionner une prodigieuse quantité de mèches soufrées, non point plates, courtes et dures comme celles qui servent à enfumer le renard au terrier, mais rondes, flambantes, très longues, flexibles et pouvant suivre facilement les circonvolutions d’un escalier ou pendre contre un mur du haut d’une fenêtre.

Toute précaution était donc prise : les matières inflammables étaient centralisées, les bandes d’incendiaires étaient groupées sous un chef ; le comité de salut public, et derrière lui la commune, étaient résolus ; mais malgré la tyrannie sans frein ni contrôle que l’on exerçait, on craignit que « le peuple » ne consentît pas aisément à laisser incendier sa ville. On voulut s’assurer du degré de délire révolutionnaire auquel il était parvenu, et l’on décida de donner un concert dans le palais même des tuileries. Cette « solennité musicale » fut annoncée par des avis publiés dans les journaux, par des affiches apposées sur les murailles, et dans quel style, bon Dieu ! « Des orchestres circuleront avec la foule dans les longues galeries, s’arrêtant, par interval, pour soulever, par leur puissante et mâle harmonie, l’enthousiasme de tout ce qui sent un cœur d’homme et de citoyen battre dans sa poitrine. Des poètes, populaires, nouveaux Tyrtées diront leurs œuvres énergiques. » Dans le palais, sur les tentures, on avait placardé la proclamation que voici : « Peuple ! l’or qui ruisselle sur ces murs, c’est ta sueur ! assez de temps, tu as alimenté de ton travail, abreuvé de ton sang ce monstre insatiable : la monarchie ! Aujourd’hui que la révolution t’a fait libre, tu rentres en possession de ton bien ! Ici tu es chez toi ! Mais reste digne, parce que tu es fort ! et fais bonne garde pour que les tyrans n’y rentrent jamais ! — Signé : Docteur Rousselle. »


Le comité de salut public, dont Gabriel Ranvier était membre, n’avait point intérêt à constater l’effet produit par les différens morceaux de musique que l’on devait exécuter, mais il tenait à être renseigné sur l’impression que le peuple ressentirait en écoutant « les nouveaux Tyrtées. » En effet, le programme indiquait que l’on réciterait une pièce de vers d’Hégésippe Moreau intitulée : l’Hiver, titre fort modeste et banal qui cachait une excitation directe à l’incendie. Une actrice, connue aux boulevards, où elle avait joué dans quelques drames à fracas, avait accepté de lire cette diatribe, qui fut d’abord écoutée assez froidement ; mais après les vers :


Alors s’accomplira l’épouvantable scène,
Qu’Isnard prophétisait au peuple de la Seine.