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avec quelques forces, et il y a eu diverses affaires; mais le mal n’est-il pas irréparable? La situation n’est-elle pas déjà singulièrement compromise pour l’empire ottoman?

Toujours est-il que, même encore à l’heure qu’il est, s’il y avait une armée turque, les Russes engagés sur cette longue ligne du Danube au-delà des Balkans, ayant tout à la fois à se défendre contre des forces ramenées au combat et à protéger leurs communications, à s’approvisionner sans cesse, resteraient assurément dans une position des plus difficiles, des plus précaires. L’audace qu’ils ont montrée n’a qu’une explication. Ils ont cru que la désorganisation turque leur permettait tout; ils ont compté, par une marche hardie, inattendue, frapper les imaginations et réduire à merci le gouvernement ottoman. Ils ont espéré peut-être qu’un coup de main heureux tenté sur Andrinople déciderait la question. Il est certain que les dernières péripéties de la guerre sur le Danube ont mis le désarroi à Constantinople. Ce n’est pas seulement le généralissime Abdul-Kérim qui a été destitué et qui disparaît avec le ministre de la guerre; le ministre des affaires étrangères, Savfet-Pacha, est, lui aussi, remplacé par un personnage assez terne, Aarifi-Pacha, qui a occupé sans éclat quelques emplois diplomatiques ou administratifs, et bien mieux encore : voici maintenant qu’on paraît rappeler à Constantinople l’ancien grand-vizir exilé à l’ouverture de l’ère constitutionnelle, Midhat-Pacha, qui erre depuis quelques mois en Europe, qui était hier à Plombières et est parti aussitôt pour Vienne. Midhat-Pacha va-t-il reconquérir son vizirat? Est-il chargé de quelque haute mission à Vienne et à Londres? Avant son départ, il n’aurait pas, dit-on, déguisé ses impressions; il serait assez disposé à croire que, pour la Porte, il n’y a rien de mieux à faire aujourd’hui que de traiter directement avec le cabinet de Saint-Pétersbourg, et dans la panique qui a éclaté à Constantinople, il a dû y avoir quelque velléité, quelque suggestion de ce genre. C’est là probablement l’origine des bruits de paix qui ont couru récemment. Dans tous les cas, les événemens ne peuvent maintenant que se précipiter. Si la Russie s’est engagée sans prévoyance, par une sorte de coup de tête, dans sa pointe aventureuse au-delà des Balkans, elle pourrait le payer cher et être encore exposée à retrouver en Europe quelques-uns des échecs qu’elle a essuyés en Asie. Si elle a su ce qu’elle faisait, si elle est sûre de ses forces aussi bien que de la faiblesse de la Turquie, si elle est en mesure de maintenir ses premiers succès, il n’y a plus rien à dire : la Russie a désormais la route de Constantinople à peu près ouverte, et à la vérité elle agit sur son passage en puissance souveraine qui ne veut pas lâcher sa proie; elle tient l’empire ottoman à sa merci, elle peut dicter des conditions, résoudre la question d’Orient comme elle l’entendra, avant même que l’Europe ait le temps de s’en mêler sérieusement, et nous pourrions être tout près de voir se reproduire quelque péripétie comme celle qui mit fin à la guerre de 1828 par