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Le premier mot de Rigault fut : « Nous avons quatre canailles ici, nous allons les fusiller en commençant par Chaudey. Envoyez-le chercher. » — Le surveillant Berthier reçut l’ordre de Ranvier et se rendit chez Chaudey, qu’il trouva écrivant ; il l’invita à le suivre. Chaudey descendit tel qu’il était, en robe de chambre et en pantoufles, pénétra dans le greffe, reconnut Raoul Rigault et le salua. « J’ai pour mission de faire exécuter les otages, vous en êtes un, dans cinq minutes vous serez fusillé. — Chaudey répondit : — Songez-vous à ce que vous allez faire ? — La commune a décidé que tous les otages seraient passés par les armes ; du reste, Blanqui a été assassiné, et vous paierez pour lui. — vous vous trompez, Rigault, Blanqui n’a pas été assassiné ; je suis en mesure, si vous retardez mon exécution, de vous faire avoir de ses nouvelles et peut-être même d’obtenir sa mise en liberté. — vous voyez bien que vous êtes en relations avec Versailles ; dépêchons, je n’ai pas le temps de m’amuser ! — Le pauvre Chaudey dit alors : — Eh bien ! je vais vous montrer comment un républicain sait mourir. » — Raoul Rigault leva les épaules, et, s’adressant à son secrétaire Slom, il lui dit : « toi, écris ; » puis il dicta le procès-verbal d’exécution : Par devant nous, Raoul Rigault, membre de la commune, procureur-général de ladite commune, sont comparus : Gustave Chaudey, ex-adjoint au maire de Paris, Bouzon, Capdevielle et Pacotte, gardes républicains, et leur avons signifié qu’attendu que les Versaillais nous tirent dessus par les fenêtres, et qu’il est temps d’en finir avec ces agissemens, qu’en conséquence ils allaient être immédiatement exécutés dans la cour de cette maison. Paris, le 23 mai 1871 ; le procureur de la commune : RAOUL RIGAULT. — Le secrétaire du procureur : SLOM. — Les trois gendarmes désignés sur cet acte de condamnation dormaient encore dans leur chambrée.

Pendant que Slom rédigeait le procès-verbal de l’assassinat, Préau de Védel, le brigadier Gentil, le greffier Clément, avaient été au poste de la prison chercher un peloton d’exécution : huit hommes seulement, appartenant tous au 248e bataillon, avaient consenti à faire l’office de bourreaux ; ils étaient commandés par le lieutenant Léonard et le sergent Thibaudier ; c’est dans l’arrière-greffe que les armes furent chargées. « Est-on prêt ? dit Rigault. — Oui, » répondit Préau de Védel, qui, ainsi que Gentil et Clément, tenait un fusil en main. On partit ; om insultait Chaudey, qui marchait droit et portait la tête haute. Sans faiblir, il pensa à sa femme, à ses enfans, à tout ce bonheur domestique, à tout l’avenir rêvé qui s’écroulait ; le courage de l’homme resta intact, mais son cœur dut se briser. Au moment où, après avoir traversé les couloirs, il mettait le pied dans le chemin de ronde, il se tourna vers le procureur de la