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droit à une part de terre. La solidarité devant le fisc enclôt le mir moscovite d’une barrière plus épaisse encore. La commune russe, telle qu’elle est sortie du servage et de l’émancipation, est une société fermée dont ni l’entrée ni la sortie n’est libre. Absens ou présens, nomades ou sédentaires, les membres du mir sont dans une grande mesure responsables les uns des autres. En ce sens, tous les hommes qui en habitent le territoire ne sont pas de la commune, et beaucoup de ceux qui en vivent éloignés en sont encore membres. Par contre, les communautés de villages et les volostes ne sont composées que de paysans égaux en droits; tout autre habitant est pour elles un étranger, à peu près dans la même situation vis-à-vis de la commune qu’un homme demeurant dans un pays qui n’est pas le sien. La commune ainsi construite est une maison dans laquelle on n’a pu encore faire de place à tout le monde; elle se ressent encore de l’ancienne division des sujets du tsar en classes, en compartimens sociaux, et par son cadre naturellement exclusif elle tend à maintenir ces anciennes distinctions.

Les droits et privilèges d’une telle commune sont, d’après les anciens usages et par la force même des choses, nombreux et étendus. Comme association, elle a une personnalité civile, elle peut acheter, louer, vendre des terres; bien plus, elle a ses règles, ses coutumes, ses lois particulières qui obligent dans son sein, elle a son droit privé au milieu du droit public national. Comme garant et caution de ses membres vis-à-vis de l’état et du fisc, elle a sur eux droit de correction et d’expulsion; maîtresse de les laisser aller et venir, elle les tient dans une sorte de tutelle. Comme détenteur du sol enfin, la commune a sur les paysans l’autorité d’un propriétaire sur ses tenanciers, et, tout comme un propriétaire ou mieux encore, elle peut faire subir aux cultivateurs telle condition qu’il lui plaît, surveiller leur exploitation, leur imposer ou leur interdire telle ou telle culture. De cette triple qualité de personne civile, de libre propriétaire et de caution légale, elle tire vis-à-vis de ses propres membres une autorité qui, rendue plus rude par les mœurs du servage, va parfois jusqu’au despotisme, et vis-à-vis du pouvoir central une autonomie, une indépendance pratique qui va presque jusqu’à la souveraineté.

La réunion des paysans formant une commune porte chez le peuple russe le nom de mir[1]. Ce mot a des sens divers, il désigne

  1. Ce mot ne désigne pas uniquement la commune restreinte (obchtchestvo, gemeinde ou communitas en polonais gmina), encore moins les terres possédées par la commune. Il s’applique aussi bien au bailliage (volost) qu’aux communautés de villages. On pourrait en rapprocher le mot mir, paix, s’il ne s’écrivait pas d’une autre manière et ne paraissait pas avoir un autre radical.