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vous portera la créance de ce que vous aurez à lui dire, et vous l’aurez reçue avant celle-ci. Comme je n’y suis pas tout à fait déterminé, n’en soyez pourtant pas en peine. C’est le seul biais, à mon avis, pour pénétrer le fond des intentions du pape et le véritable principe de cette lenteur qu’il semble affecter.

« J’écris, lui disait-il enfin, à M. Chigi[1], ci-devant nonce à Cologne, et à M. le marquis del Buffalo, mais je n’ai pas jugé qu’il fallût prodiguer les lettres de son altesse royale, attendu même ce que vous me mandez du peu d’affection que la cour de Rome a pour ce marquis. Vous fermerez les lettres avant que de les donner… »


II.

Pendant ce temps, quelle était en France la position respective des trois principaux personnages qui se disputaient le pouvoir, et quels moyens mettaient-ils en œuvre pour se nuire ou se jouer l’un de l’autre ?

Condé, après avoir quitté Paris, s’était rendu à Bordeaux, où il fut accueilli à bras ouverts par le parlement et par ses amis. Le comte du Dognon, gouverneur de Brouage, un de ses anciens compagnons d’armes, avait déserté la cause royale et était venu lui offrir, avec ses services, sa petite armée, dont les garnisons occupaient toute la côte depuis La Rochelle jusqu’à Royan. Le maréchal de La Force et ses amis de Guyenne s’étaient déclarés pour lui ; le duc de Richelieu lui amenait des levées faites en Saintonge et en Aunis, et le comte de Marchin, trahissant la cause du roi, lui livrait les régimens qu’il avait débauchés dans son gouvernement de Catalogne. Enfin un secours espagnol, appelé par le prince, était entré dans Blaye. Il semblait qu’avec toutes ces ressources Condé dût être en état de faire trembler la cour et que celle-ci fût à deux doigts de sa perte. Il n’en était rien. Le jeune roi et le comte d’Harcourt, nommé général en chef de l’armée royale, étaient entrés dans Bourges sans résistance, le 2 octobre, et à leur approche le prince de Conti et Mme de Longueville s’étaient enfuis de Montrond pour aller rejoindre leur frère à Bordeaux. Pendant que la cour se dirigeait sur Poitiers, le comte d’Harcourt marchait sur Cognac, dont M. le prince faisait le siège, et, après avoir taillé en pièces un de ses régimens, l’avait forcé à le lever. De là, il s’était dirigé sur La Rochelle et s’en était emparé le 17 novembre. Enfin il avait forcé Condé, à Tonnay-Charente, à repasser la rivière, et pendant quelques semaines il l’avait tenu en échec. Le jour même de son arrivée

  1. Fabio Chigi, depuis pape sous le nom d’Alexandre VII, alors simple monsignore et secrétaire d’état d’Innocent X en remplacement de Panzirolo.