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de recevoir une lettre du cardinal qui lui annonçait son arrivée prochaine dans cette province. Le 19 décembre, à la tombée de la nuit, le coadjuteur alla trouver Omer Talon, l’avocat du roi, pour lui montrer toute la grandeur du péril. « La reine, lui dit-il, a voulu m’engager depuis trois jours à me déclarer en faveur du retour du cardinal ; je lui ai fait répondre par le gentilhomme qu’elle m’a envoyé que je m’étais bien, il est vrai, réconcilié avec le cardinal Mazarin, parce que sa majesté l’avait ainsi voulu, mais non pas pour consentir à son retour, qui ne peut produire qu’un mauvais effet et pernicieux à l’état. » Le coadjuteur s’attacha à montrer à Talon tous les maux qui devaient être la suite de ce retour et il n’omit rien de ce qui pouvait lui échauffer l’esprit, afin que les conclusions qu’il devait porter le lendemain au parlement fussent rudes. Il lui avoua enfin qu’il pressait le duc d’Orléans de lever des troupes pour s’opposer au retour du cardinal et que son dessein était d’engager le parlement dans un tiers-parti à la tête duquel serait placé le duc d’Orléans[1]. Ce tiers-parti, combinaison désespérée de Retz, devait se composer du parlement et du peuple de Paris, des autres parlemens du royaume et des habitans des provinces, et se déclarer indépendant, les armes à la main, entre le parti de Condé et celui de la cour et du cardinal. Il s’imagina qu’avec ces élémens sans cohésion il pourrait lutter avec avantage contre le roi, qui venait d’être déclaré majeur, qui était à la tête d’une armée victorieuse de M. le prince, et contre le cardinal, qui était relevé de toutes ses flétrissures et rentré en crédit en vertu d’un acte solennel de la volonté royale. Se déclarer de la sorte, c’était, comme il semble à première vue, exposer singulièrement la partie, et pourtant ce fut ce coup d’audace qui valut au coadjuteur le chapeau de cardinal et qui hâta sa promotion. Il joua le tout pour le tout. Le lendemain de sa visite à Omer Talon (20 décembre), le parlement s’assembla de nouveau et rendit un arrêt pour supplier le roi d’écrire à l’électeur de Cologne et à l’état de Liège pour qu’il fissent sortir le cardinal Mazarin de leur territoire et pour défendre aux gouverneurs des provinces de France de donner passage à ses troupes.

Pendant ce temps, Mazarin, à la tête d’une petite armée de 6,000 hommes, qui portaient l’écharpe verte, couleur de sa maison, escorté par deux maréchaux de France, le marquis d’Hocquincourt et le marquis de La Ferté-Senneterre, était parti de Dinant pour se rendre à Bouillon, puis à Sedan, où il fut reçu (24 décembre) par le marquis de Fabert, commandant de la place. Sa petite armée, par une fortune singulière, avait pu échapper aux régimens de cavalerie et aux Croates que le prince de Condé avait embusqués

  1. Mémoires d’Omer Talon, t. VIII, p. 42.