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Xe siècle seulement que saint Léon fondait chez les Basques français encore païens le diocèse de Bayonne, et son zèle apostolique ne tardait pas à lui coûter la vie; or le nouveau diocèse s’étendait par-delà les monts, jusque dans les vallées du Baztan et du Guipuzcoa, d’où l’on peut conclure qu’à cette époque l’état religieux des Basques espagnols ne différait guère de celui des habitans de l’autre versant. Bien loin d’avoir les premiers connu ou même pressenti le christianisme, sauf dans la plaine de Vitoria, où l’invasion des Mores avait refoulé les familles chrétiennes de la rive droite de l’Èbre, les Basques au contraire repoussèrent partout la religion nouvelle et défendirent leurs anciennes croyances avec cette ténacité et cette énergie qui fait le caractère distinctif de leur race.

En revanche, aussitôt qu’ils l’eurent embrassé, le christianisme n’eut pas de sectateurs plus convaincus et plus fervens. Rien en effet n’égale l’ardeur de leur foi, une foi naïve, sincère, inébranlable, n’admettant ni discussion, ni tempérament. Il semble que sur ces hauteurs l’homme se sente plus près de Dieu et soit invinciblement porté à élever vers lui sa pensée. N’est-ce pas un chant basque qui dit : « Celui qui ne connaît pas la prière, qu’il aille par nos montagnes, et il verra qu’il apprendra promptement à prier sans que personne le lui enseigne? » De là l’influence considérable dont jouit le prêtre en Navarre et dans les trois provinces ; d’ailleurs la configuration du pays, la dispersion des caserios, exigent la présence d’un clergé quatre fois plus nombreux qu’en aucune contrée de l’Espagne; mais cet état de choses n’est point sans danger, et les anciens législateurs semblent l’avoir bien compris : il était interdit aux prêtres de se mêler de politique; même le fuero de Tolosa porte expressément que quiconque venant voter aura été vu avec un ecclésiastique sera pour cela seul exclu du vote. Que de malheurs eussent pu être évités, si l’on s’en était rigoureusement tenu à l’esprit de sagesse et de prévoyance qui avait dicté cette loi ! Je ne voudrais me faire l’écho d’aucune accusation portée à la légère; j’ai rencontré moi-même dans le pays basque des prêtres éclairés, tolérans, dignes de tous les respects; mais ce besoin qu’on a d’un grand nombre de curés et de vicaires parlant la langue euskarienne ne permet pas de les choisir tous avec soin. Beaucoup, comme instruction, comme caractère, n’offrent pas de garanties suffisantes; grossiers et sensuels, aimant l’oisiveté et la bonne chère, leurs mœurs privées elles-mêmes ne sont pas toujours sans reproche, et je sais plus d’un village où le curé serait le seul qui tienne une conduite peu régulière et donne le mauvais exemple. Oublieux de leur dignité, ils se montrent partout, dans tous les endroits publics et même à l’auberge au sortir de la messe :