Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/835

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
829
VOYAGE DANS LE PAYS BASQUE.

grande rue, entre autres vieilles maisons il en est une, de dimensions inusitées, moitié forteresse, moitié palais, dont les fenêtres ornées de trèfles et barrées de listeaux, les portes étroites, l’escalier couvert, le double chemin de ronde extérieur facilement reconnaissable, réalisent le modèle le plus parfait de force polie et de fière élégance. A proximité de l’église, une autre tour féodale a été ingénieusement transformée en clocher.

Naguère encore une jolie route toute neuve menait de Zarauz à Guetaria. Étroite et sinueuse, elle suivait à mi-côte la ligne des âpres falaises qui en cet endroit domine l’Océan, tantôt mordant sur le roc pour s’ouvrir un libre passage, tantôt pesant sur des remblais et comme suspendue au-dessus des flots. Trois ans de guerre, le manque d’entretien, le courroux réuni des élémens, l’ont eu bientôt ruinée; à chaque pluie d’orage, les eaux torrentielles tombant de la montagne affouillent la chaussée; de son côté, la vague mine les murs de soutènement, descelle les pierres et les réduit en galets. Quoi qu’il en soit, par curiosité, confiant aussi dans l’habitude que j’avais acquise des expéditions de ce genre, je continuai à longer la côte au lieu de prendre par l’intérieur des terres. A certains endroits, toute trace de la route avait disparu; la roche seule restait avec ses parois à pic, rendues plus glissantes par l’humidité ; à peine rencontrais-je de loin en loin une touffe d’herbe où m’accrocher de la main, un petit renfoncement, une saillie du mur vertical où poser le pied avec précaution, et dans le bas, prêt à me recevoir au moindre faux pas, un lit de blocs écroulés hérissait ses vives arêtes au-dessus de la vague. Vint un moment où je ne pus plus ni avancer ni reculer; je pris le parti de m’asseoir; alors seulement j’aperçus le merveilleux spectacle que j’étais venu chercher et sur lequel, dans ma préoccupation, je n’avais pas encore pris la peine de jeter les yeux. La mer était calme, l’air un peu lourd ; le soleil ne s’était pas montré de toute l’après-midi, mais il faisait encore plein jour; les longues houles, se chassant l’une l’autre par un mouvement continu, venaient se heurter contre la première assise de la falaise; elles s’indignaient d’abord de cet obstacle inattendu, se haussaient au flanc des rochers, s’allongeaient en sifflant comme les langues multiples d’un monstre de la fable; puis, vaincues, retombaient en impalpable poussière d’écume. Au-delà l’horizon s’étendait à perte de vue ; il fallait y regarder avec attention pour comprendre où se terminait la mer, où le ciel commençait, tant la limite était douteuse, tant l’un et l’autre avaient la même teinte incertaine, la même palpitation orageuse et le même infini. Dans le lointain passait un paquebot, mais si peu distinct, que sa longue coque peinte et le panache de fumée qu’il traînait après lui faisaient à peine un point noir dans la brume. Combien de temps je