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force et n’eût pas donné une place de premier rang à cet élément incomparable de résistance ? Eh bien, il n’y a pas la moindre trace d’un rôle quelconque rempli par le clergé druidique pendant toute la durée de la guerre de l’indépendance. Il y a de temps à autre un druide qui entre en scène, par exemple l’Eduen Divitiac, et son rôle personnel est tout l’opposé de celui qu’on eût attendu d’un prêtre patriote. César nous représente les druides comme tenant chaque année des assises solennelles au pays des Carnutes, connaissant souverainement des procès qui leur sont déférés de toutes parts, condamnant à mort, excommuniant, c’est-à-dire mettant au ban de la société religieuse et civile ceux qu’ils déclarent coupables, — ce qui ne l’empêche pas de nous raconter une foule d’événemens qui ne s’accordent nullement avec un état de choses qui eût fait de la Gaule entière une véritable théocratie. Par exemple, on voit des Gaulois condamnés à mort, exécutés par leurs compatriotes, sans qu’il soit question d’un seul jugement druidique. Il y aurait vraiment lieu de soupçonner ce Divitiac, ambitieux, retors, beaucoup plus Éduen que Gaulois, dont César se servit beaucoup et qui certainement crut se servir lui-même beaucoup de César, d’avoir fourni au général romain ces renseignemens exagérés sur l’état, l’organisation et les droits sacrés de son ordre. Comme les Éduens espérèrent longtemps que, pour prix de leur docilité vis-à-vis des Romains, ils obtiendraient la direction de la Gaule entière, un druide éduen peut bien avoir rêvé d’en devenir le directeur suprême de par la volonté du vainqueur. César, qui avait de tout autres idées, aurait accepté ses dires sans bénéfice d’inventaire, se souciant au fond très peu de ce qu’il en était au juste, et les aurait reproduits tels quels sans s’arrêter à résoudre les contradictions que les faits racontés par lui-même devaient opposer au système de théocratie qu’il avait retracé. C’est du reste et dans tous les temps un penchant assez fréquent chez les membres d’un clergé que de présenter l’état de choses qui résulterait de leurs prétentions réalisées comme existant en fait, et certaines aspirations au gouvernement de la Gaule entière ont très bien pu se révéler chez les druides les plus haut placés.

Le petit nombre de cas où l’on peut surprendre la présence et l’action de quelques-uns d’entre eux les montre faisant cause commune avec l’aristocratie très occupée à se défendre, quand César envahit la Gaule, contre les revendications de la plèbe. Celle-ci, en effet, était alors travaillée par un esprit de révolution démocratique. C’est probablement dans un intérêt de conservation que nous voyons des druides admis comme tels à siéger dans le sénat ou le conseil qui nomme et contrôle les chefs de certains cantons ou cités[1]. On

  1. La civitas ou cité gauloise représente, non pas une ville, mais l’ensemble d’un peuple gaulois particulier. Il y a la cité des Arvernes (Auvergne), des Eduens (Autun), des Rèmes (Reims), etc., et par conséquent elle répond assez bien au canton suisse.