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entrés à vingt ans au ministère y passaient un demi-siècle à s’occuper des affaires extérieures sans jamais avoir franchi la frontière de France. Ces modestes et intelligens travailleurs formaient les bureaux des affaires étrangères, espèce de personne morale anonyme dans laquelle ils se confondaient : ils travaillaient sans pouvoir aspirer à se faire honneur de leurs travaux, dont le mérite était attribué au ministre, et le profit à la France et au roi. Pour ces braves gens, le bâton de maréchal était les lettres de noblesse, qui jouaient à peu près alors le rôle de la croix, et la dignité purement honorifique de conseiller d’état par brevet. Leurs noms ont échappé à l’histoire, et y auraient sans doute échappé longtemps encore, si M. Masson ne les avait exhumés du tombeau des archives.

A la fin du XVIIIe siècle, les bureaux des affaires étrangères comprenaient deux directions politiques qui se partageaient la correspondance avec les différens pays du monde, le secrétariat, le bureau des fonds, le bureau des archives. Sous Louis XVI, deux hommes d’un rare mérite étaient, avec le titre modeste de premiers commis, à la tête des services politiques. L’un d’eux, Gérard de Rayneval, dont le nom est bien connu dans la diplomatie, a laissé plusieurs ouvrages de grande valeur. Ses Institutions du droit de la nature et des gens sont un livre classique. L’autre, Hennin, qui avait longtemps voyagé pour le compte du roi, était une vivante encyclopédie. En correspondance avec Bernardin de Saint-Pierre et avec Voltaire, il était hautement prisé de tous les hommes distingués de son temps qui furent en relations avec lui. Ces deux premiers commis, chargés de la correspondance avec le monde entier, n’avaient que vingt employés sous leurs ordres. Et cependant, par suite du morcellement de l’Europe d’alors, il y avait plus de postes diplomatiques qu’aujourd’hui; mais il faut ajouter que les commis étaient largement appointés : Rayneval et Hennin touchaient de 25 à 30,000 livres, et les autres commis avaient en moyenne plus de 4,000 livres (ce qui équivalait à 10,000 francs de nos jours). — M. Masson donne, avec des notices biographiques, la liste de tous les commis sous Louis XVI. Nous ne saurions le suivre sur ce terrain; nous citerons seulement deux noms : celui de Pfeffel, jurisconsulte du département, écrivain distingué, chargé spécialement des conflits que suscitaient les droits des princes allemands possessionnés en Alsace, — et celui de Lesseps, doyen du bureau de Hennin, un des membres de cette famille, vouée dès longtemps aux affaires étrangères, qui devait arriver de nos jours à une si éclatante célébrité.

Le secrétariat, qu’on appellerait aujourd’hui le cabinet, se composait de quelques hommes de confiance, que le ministre amenait