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chéri de ses ministres;... mais les tyrans n’ont pas de cœur, pourraient-ils avoir des amis? »

Malgré la situation intolérable qui lui était faite, Montmorin conserva son portefeuille. Son attachement pour Louis XVI était probablement à cette heure le seul motif qui le retenait aux affaires, car on ne saurait supposer qu’il aimât pour lui-même le pouvoir humilié et amoindri qui lui restait. Depuis le voyage de Varennes, la plupart des agens étrangers avaient quitté Paris. Le comité s’ingérait de plus en plus dans les affaires du département, sans que cette ingérence apportât du moins en compensation l’appui de Mirabeau, qui venait de mourir. Enfin l’assemblée marchandait les fonds nécessaires en imposant des économies sur tous les services. Montmorin patienta, sur les instances du roi, tant que dura la constituante ; mais il résolut de ne pas affronter l’assemblée législative.

L’assemblée constituante se sépara le 30 septembre 1791 après avoir fait accepter au roi la constitution. Louis XVI avait juré du bout des lèvres : son manque de sincérité, les menées qu’il tolérait autour de lui, ses relations avec les émigrés, les correspondances de la reine avec la cour de Vienne, tout contribuait à gêner le fonctionnement des institutions nouvelles, et à précipiter les événemens. Mais le roi eût-il abdiqué toute arrière-pensée, eût-il donné à la constitution une adhésion franche et sincère, on se prend à douter que le nouveau régime eût pu se maintenir sans secousses violentes quand on voit les dispositions des membres de la législative. Montmorin put bientôt, en ce qui le concerne, se rendre compte que les législateurs suivraient les erremens des constituans, car dès le 16 octobre on nommait un comité diplomatique. Le 31 du même mois, le ministre vint lire un long rapport sur la situation politique de la France, et, rompant cette fois avec l’optimisme, vrai ou supposé, qui avait paru l’animer jusqu’alors, il laissa percer son découragement, montra l’avenir sous de sombres couleurs, et annonça en noble et fier langage qu’il avait remis sa démission au roi.

Ce dernier acte est tout à l’honneur de Montmorin; mais nul ne lui en sut gré : à la fois suspect aux royalistes, qui lui reprochaient ses idées libérales et ses concessions, et suspect aux démocrates, qui lui reprochaient son origine et son affection pour la personne du roi, il était isolé, subissant le sort trop souvent réservé aux esprits modérés et impartiaux. Le succès en politique et la popularité appartiennent aux extrêmes.

La cour hésita quelque temps avant de donner un successeur à Montmorin. On pensait à la fois à M. de Ségur, ambassadeur en Russie, à M. de Choiseul, ambassadeur à Constantinople, l’un et l’autre publicistes et diplomates distingués. Le choix de Louis XVI