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sa prison le 2 septembre et traduit devant une espèce de tribunal, qui n’était qu’une sinistre parodie des formes de la justice. Il répond fièrement au citoyen Maillard, qui présidait, et lui dénie le droit de rendre la justice. Un des assistans l’interrompt et dit brusquement : « Monsieur le président, les crimes de M. de Montmorin sont connus, et, puisque son affaire ne nous regarde pas, je demande qu’il soit envoyé à La Force. — Oui! oui! à La Force! crièrent les juges, — Vous allez donc être transféré à La Force, dit ensuite le président. — Monsieur le président, puisqu’on vous appelle ainsi, réplique Montmorin du ton le plus ironique, je vous prie de me faire avoir une voiture. — Vous allez l’avoir, » répondit froidement Maillard. Un instant après, le malheureux sort, une foule affolée se rue sur lui; on l’égorgé malgré sa résistance, et on se partage ses membres sanglans. La haine aveugle de ce peuple s’acharna contre la famille de sa victime : deux ans plus tard, Mme de Montmorin était guillotinée avec son fils sur un jugement du tribunal révolutionnaire. Cinq jours après Montmorin, périssait son successeur : on se rappelle que de Lessart, décrété d’accusation par les girondins, avait été transféré à Orléans pour être jugé par la haute-cour. Il était en état de détention préventive, ainsi qu’un assez grand nombre d’inculpés politiques. La commune de Paris obtint de l’assemblée l’autorisation de ramener dans la capitale les prisonniers d’Orléans. Le 24 août, un individu connu sous le nom de Fournier l’Américain partit pour les chercher avec une bande d’hommes armés. L’assemblée comprit bientôt quel sort leur serait réservé à Paris ; le 2 septembre, elle ordonna que les prisonniers fussent renvoyés à Saumur. L’ordre fut mal exécuté : au lieu de rebrousser chemin, le convoi, escorté par Fournier, prit la route de Versailles. La municipalité de Versailles alla au-devant des prisonniers et demanda qu’ils fussent enfermés à l’Orangerie. Malheureusement une foule énorme, ameutée par des émissaires de la commune, exigea qu’ils lui fussent livrés. Le maire de Versailles tâche de faire entendre raison à ces forcenés, mais la foule l’entoure et le menace; il se consume en vains efforts jusqu’au moment où un fort de la halle l’enlève. Aussitôt les prisonniers sont assaillis à coups de lance et de couteau; une mêlée terrible s’engage. Sur cinquante-deux prisonniers, huit seulement s’échappèrent; au nombre des morts était de Lessart, que sa situation d’ancien ministre désignait spécialement à la haine des massacreurs.

Ces scènes sanguinaires, odieux prélude de la terreur et de l’organisation officielle des massacres, coïncident avec la fin de l’assemblée législative, qui disparut en en portant la responsabilité. Mais au moins elle ne les commanda pas ; ce triste rôle était réservé à la convention.