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Le premier soin du nouveau ministre fut d’annoncer son avènement à celui qui apparaissait déjà aux esprits clairvoyans comme l’homme du destin. Il écrivit au général Bonaparte une lettre charmante et de la plus exquise flatterie, que Sainte-Beuve cite quelque part. « Je m’empresserai, disait-il, de vous faire parvenir toutes les vues que le directoire me chargera de vous transmettre, et la renommée, qui est votre organe ordinaire, me ravira souvent le bonheur de lui apprendre la manière dont vous les aurez remplies.» — Dès que le général revint à Paris après la signature du traité de Campo-Formio, qui mettait l’empire aux pieds de la France, le ministre, comme bien on pense, se déclara son admirateur passionné. Le décadi 20 frimaire an VI, le directoire organisa une fête pompeuse pour recevoir le jeune héros et les étendards ennemis qu’il rapportait. La cour du Luxembourg fut tendue des plus riches tapisseries du Garde-Meuble, et couverte d’une immense toile. Au fond se dressait l’autel de la patrie, aujourd’hui passé à l’état de métaphore, mais qui avait alors une réalité tangible sous forme d’un fût de marbre blanc. Talleyrand présenta Bonaparte aux cinq directeurs, après lui avoir adressé la plus flatteuse harangue. Ce n’était pas assez pour le ministre : il voulut avoir Bonaparte chez lui. Le département des relations extérieures était installé, on se le rappelle, à l’hôtel Galiffet. On y avait adjoint l’hôtel Maurepas, contigu, pour installer les archives, récemment transportées de Versailles à Paris. L’hôtel Galiffet, aujourd’hui environné de constructions, mais dont on voit encore les hautes colonnes ioniques au n° 71 de la rue de Grenelle, demeura jusqu’en 1820 l’hôtel des affaires étrangères. Le 2 janvier 1798, l’hôtel était paré de guirlandes de fleurs, et décoré des plus belles tapisseries ; c’était le jour fixé pour recevoir Bonaparte : le galant évêque d’Autun avait attendu le retour de Mme Buonaparte pour lui consacrer tout spécialement la fête. Fleurs, musique, feu d’artifice, souper de 300 couverts, toast, chansons, rien ne manquait : les brillans costumes des directeurs, des fonctionnaires, des officiers, les légères toilettes des femmes, donnaient un aspect féerique à la réunion. Le général Bonaparte fit le tour du bal avec Arnaut; un instant la foule les sépara, et Arnaut s’était assis sur une banquette dans un coin du salon. Mme de Staël l’aperçoit, vient à lui, et lui demande de la présenter à son général, et c’est alors qu’eut lieu cette conversation si souvent répétée que l’auteur de Corinne ne pardonna jamais à Napoléon. « Général, dit Mme de Staël, quelle est la femme que vous aimeriez le mieux? — La mienne. — C’est tout simple, mais quelle est celle que vous estimeriez le plus? — Celle qui sait le mieux s’occuper de son ménage. — Je le conçois encore. Mais enfin quelle serait pour vous la première de toutes les