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aller soient un autre danger, nous ne le contestons pas : la dernière chambre l’a prouvé, elle en a porté la peine, et si une majorité républicaine revient à Versailles, elle devra s’en souvenir; mais enfin idées fausses ou radicalisme ne sont pas au-dessus de la vigilance d’une société puissante, vigoureusement organisée, qui sent le besoin de n’être troublée ni dans son travail ni dans ses intérêts innombrables. On aurait pu les tenir en respect, on pourrait les combattre encore par la force régulière de la légalité et des institutions, et ce n’était pas la peine de courir les hasards, d’offrir précipitamment ce spectacle d’un monde politique effaré faisant appel à l’empire, à la légitimité, à la coalition de tous les ennemis de l’ordre existant, au risque de raviver des questions brûlantes, de rallumer les conflits les plus périlleux.

Le ministère appelé au pouvoir au lendemain du 16 mai a cru agir en bon conservateur, il croit même avec M. le président de la république rester sur le « terrain constitutionnel, » nous le voulons bien. Il n’est pas moins vrai que cette lutte qu’il a engagée l’entraîne fatalement dans une série d’entreprises et d’aventures où la constitution, les lois les plus simples, la correction administrative, deviennent ce qu’elles peuvent. Chose étrange! nous assistons à un spectacle qui a sans doute sa logique et qui est pourtant assez triste. Le gouvernement est conduit, plus peut-être qu’il ne le voudrait, à se servir de tous les moyens de l’empire, des décrets sur la presse, de la candidature officielle, de la pression sur les fonctionnaires les plus étrangers à la politique. Il veut réussir, il a besoin de préparer les élections, et il les prépare par un déploiement d’autorité discrétionnaire qui ne s’arrête devant rien.

L’arbitraire a certainement un rôle aussi malheureux qu’invariable dans cette campagne que les préfets poursuivent contre la vente des journaux républicains, même des journaux modérés qui ne sont radicaux que dans le langage officiel. Aujourd’hui une interdiction à peu près universelle pèse sur la vente de ces journaux en province; on ne les trouve plus. Les préfets ont découvert le moyen d’éluder la loi de 1875 qui défend d’appliquer cette interdiction à un journal déterminé; les règlemens sur le colportage à la main, ils poussent la guerre à fond avec plus d’entrain que de prudence. L’administration cependant n’est point sans rencontrer des résistances, elle est assaillie de contestations nombreuses. Toutes ces affaires vont devant les tribunaux, qui rendent des jugemens différens, qui se prononcent même quelquefois avec sévérité sur les actes des préfets, et voilà le gouvernement exposé à être pris en flagrant délit d’abus d’autorité, réduit à se sauver par des conflits, par des dénis de compétence. Rien n’est plus difficile sans doute que de tracer la limite entre les actes purement administratifs dont les préfets ne doivent compte qu’au ministre de l’intérieur et les actes abusifs pour lesquels ils peuvent devenir justiciables des tribunaux depuis qu’ils ne sont plus couverts par l’article 75 de la constitution de l’an VIII.