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Le remarquable travail de M. Chauveau sur la Physiologie des maladies virulentes, et les importantes lectures que M. Chauffard a faites tout récemment à l’Académie de médecine sur l’étiologie de la fièvre typhoïde, tendent, il est vrai, à écarter cette hypothèse pour la plupart des maladies spécifiques. Mais il est au moins une de ces affections pour laquelle la présence d’un ferment figuré semble aujourd’hui suffisamment établie : c’est le charbon. J’essaierai de raconter brièvement l’histoire de cette découverte, qui commence à prendre rang parmi les faits acquis.

En 1850, MM. Rayer et Davaine, dans le cours de leurs recherches sur la contagion du sang de rate (c’est ainsi qu’on appelle la maladie charbonneuse du mouton), avaient constaté que le sang des animaux atteints de cette affection renfermait de petits corps filiformes, immobiles, ayant environ le double en longueur du globule sanguin. C’est la première observation authentique des bactéridies. Onze ans plus tard, M. Pasteur fît cette mémorable découverte, que le ferment de la fermentation butyrique, loin d’être une matière albuminoïde en décomposition spontanée, comme on l’admettait alors, était constitué par des vibrions offrant les plus grandes analogies avec les corps filiformes du sang des animaux charbonneux. Peu de temps après, M. Pasteur réussit encore à démontrer que, dans l’état de santé, le corps des animaux est fermé à l’introduction dts germes de fermens, et que du sang par exemple, extrait d’une veine à l’abri des poussières atmosphériques, peut être conservé intact, sans se putréfier, pendant un temps illimité[1]. M. Davaine eut alors l’idée de reprendre ses recherches sur le sang de rate, et il arriva à cette conviction, que les maladies charbonneuses sont le résultat d’une fermentation où les bactéridies jouent le rôle des vibrions dans la fermentation butyrique.

Cette hypothèse, acceptée par les uns, vivement combattue par d’autres, ne tarda pas à faire son chemin, et fut le point de départ d’une foule de recherches expérimentales. En 1876, le docteur Koch annonça que les bactéridies du charbon peuvent subir les mêmes métamorphoses que M. Pasteur avait, dans l’intervalle, constatées sur les vibrions baguettes qui sont les agens actifs de la flacherie des vers à soie. Après que ces vibrions se sont reproduits un temps par division spontanée, on voit apparaître dans leur substance, jusque-là translucide, un ou plusieurs points brillans, sorte de noyaux autour desquels se résorbe peu à peu le reste du corps. Les bâtonnets sont ainsi remplacés par une poussière de granules dont les dimensions ne

  1. Cette admirable expérience remonte à 1863. Ce que M. Pasteur avait dès lors démontré pour le sang et pour l’urine a été plus récemment établi par M. Gayon pour le contenu des œufs. Ces substances, éminemment putrescibles à l’air libre, n’éprouvent aucune altération dans un ballon de verre où elles sont à l’abri des poussières atmosphériques. Voyez à ce sujet l’étude sur la fabrication de la bière, dans la Revue du 15 novembre 1876.