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peut le boire impunément par grande quantité, sans eau. On n’en éprouve que du bien-être, les idées restent claires, la tête libre. Il ne laisse dans la bouche aucun arrière-goût, aucune odeur d’alcool ; il est d’une digestion aisée. Il doit à son tannin, à son crénate, à son tartrate de fer réconfortant, intimement combinés dans la masse ; des propriétés hygiéniques exceptionnelles qui le font recommander aux malades, aux convalescens, aux vieillards. C’est le vin tonique entre tous, qui guérit l’anémie, la chlorose, le scorbut et qui rend des forces aux faibles. Le médoc est de la classe des vins que les chimistes, M. Bouchardat entre autres, appellent mixtes ou mieux parfaits, ni sucré, ni alcoolique, ni acide. Par la nature des substances qu’il contient, il participe de certaines eaux minérales et, comme elles, on peut dire qu’il est animé, vivant. Il jouit à un degré beaucoup plus certain que ces eaux de propriétés curatives ; c’est le liquide minéralisé par excellence. Tous les médecins se sont hautement prononcés là-dessus à diverses reprises. Quoi de plus ? Le mélange ou mieux la combinaison de tous les élémens qui constituent ce vin est si heureuse, si intime, les proportions de tous ces corps ont été si bien fixées par la nature, que le vin ne se dépouille presque pas et peut impunément vieillir au-delà de tous les autres ; nous savons que même il y gagne étonnamment en qualité. Seul, le vin de Saint-Emilion recouvré la bouteille d’une robe intérieure comme les vins de Bourgogne et de Beaujolais, auxquels il est volontiers comparé.

Le croirait-on ? le vin de Médoc a été très longtemps méconnu en France. Il était depuis des siècles admis sur les tables étrangères, alors qu’on le dédaignait encore chez nous. C’est sans doute à cause de la faible quantité d’alcool qu’il contient qu’il a été si tard apprécié. Il ne renferme que 8 ou 9 pour 100 d’alcool, et le vin de Graves 12, quand le Bourgogne en renferme 15, le Champagne naturel 14, l’ermitage 16, le roussillon 18. Aussi le Bourguignon plaisante-t-il volontiers le Bordelais et fait-il fi de ses vins ; il est vrai que celui-ci le lui rend bien. Depuis le XIIe siècle, les Anglais connaissent et apprécient le médoc ; c’est encore aujourd’hui en Angleterre que ce vin est le plus estimé, c’est là que vont une partie des plus grands crus ; puis viennent la Belgique et la Hollande, qui s’y connaissent aussi bien que l’Angleterre, ont plus qu’elle encore le culte de leurs caves et y consacrent des sommes considérables. Telle cave particulière de Belgique renferme pour une valeur de 100,000 francs de vins. Avec quelle ? ; religion on le déguste, on le sert à l’hôte qu’on veut honorer, c’est ce dont témoignent tous ceux qui ont rendu visite à nos voisins. En France, il faut remonter au siècle dernier pour voir le vin de Médoc apparaître sur la table des grands et y tenir enfin la place que depuis il n’a cessé