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comparaison, les distributions de vivres, les taxes sur les riches, ne sont rien. Entend-on par dépenser beaucoup dépenser n’importe comment, et fait-on l’éloge de la prodigalité ? Montesquieu contredirait alors d’excellens passages où il la condamne. Le tort de l’illustre écrivain est trop souvent, dans cet examen de la question du luxe, de subordonner des vérités essentielles à de prétendues convenances politiques, soit pour poser des règles, soit pour motiver des exceptions. Ainsi il veut exceptionnellement dans la monarchie elle-même des lois somptuaires, quand les achats de luxe à l’étranger épuisent le numéraire et la richesse du pays, opinion qui s’inspire de préjugés économiques et que justifie peu la convenance politique. Subordonner la question du régime des dots à celle du luxe dans ses rapports avec les institutions, c’est risquer de prendre la question par un seul côté, qui n’est pas, tant s’en faut, le plus décisif. Il veut que les dots soient considérables dans les monarchies, pour que les maris se trouvent mis au niveau du luxe établi, médiocres dans les républiques, où le luxe ne doit pas régner. Il juge de même la communauté des biens entre le mari et la femme très convenable dans le gouvernement monarchique, où elle intéresse les femmes aux affaires et au soin de la maison, peu convenable dans les républiques, où « les femmes ont plus de vertu. » Il y a bien de l’arbitraire dans ces prétendues convenances ou nécessités. Il serait tout aussi vraisemblable de soutenir que la communauté des biens entre le mari et la femme s’impose davantage dans les républiques, comme plus conforme à l’esprit d’égalité ; en tout cas, d’autres raisons, économiques et juridiques, bien plus concluantes que le luxe et que la forme politique, servent à résoudre cette grosse question du régime des dots. Enfin la vertu de femmes sous les républiques, par opposition aux autres gouvernemens, ne paraît pas être un de ces axiomes qu’il faille accepter les yeux fermés. Ce sont de singulières républicaines que les héroïnes de Boccace. Il est bien permis de croire que les femmes de la noblesse et de la bourgeoisie, à tel moment de la vieille monarchie, peuvent soutenir avec quelque avantage la comparaison. C’est sur l’histoire que Montesquieu prétend marcher constamment appuyé ; c’est l’histoire qui lui fournit tant de vues profondes, et, ce que son œuvre a de plus admirable, c’est d’être un immortel monument élevé à la méthode historique. Eh bien, les règles qu’il pose sur le luxe en rapport avec les institutions sont plus souvent démenties que justifiées par les faits. — La monarchie, dit-il, ne fera pas de lois somptuaires : or toute son histoire en est remplie. — L’aristocratie, dit-il encore, sera modérée quant au luxe : or rien de plus immodéré que l’histoire du luxe dans les aristocraties. Les républiques, ajoute-t-il enfin, seront vertueuses et n’auront pas de luxe : or qui sait mieux